Interventions du public

Stéphane Doré 
[directeur adjoint de l’École supérieure des beaux-arts Tours Angers Le Mans et directeur du site d’Angers]

La question de la recherche dont on a parlé est toujours pour moi une question extrêmement complexe. D’ailleurs, dans tous les écrits des différentes assises qui se sont tenues, on retrouve toujours cette distinction entre la recherche personnelle d’un artiste et une recherche collective. Que cette recherche en art soit inventée, c’est pour moi une évidence, mais qu’on puisse dire qu’elle se limite à la recherche de l’artiste seul, non. C’est quand l’artiste se met dans une collectivité, que ce soit une collectivité d’artistes ou une collectivité plus large, que de la recherche à un autre niveau, ni supérieur ni inférieur, simplement différente, peut être mise en œuvre, et c’est de cette recherche-là qu’il est question dans les écoles d’art. Je pense que l’on n’a pas fini d’en débattre, mais c’est très important que l’on distingue bien ces deux approches de la recherche qui sont complémentaires. Nous sommes encore dans une définition de ce qu’est la recherche en art, mais il me semble que c’est cette différence qui est cruciale.

Jean-Marc Vernier
[directeur du Pont Supérieur, Pôle d’enseignement supérieur spectacle vivant Bretagne Pays de la Loire, et président de l’Anescas, Association nationale d’établissements d’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine des arts de la scène]

Je dirige l’école du Pont Supérieur qui est implantée sur deux régions et qui forment de jeunes artistes aux professions de la musique et de la danse, que ce soit des artistes interprètes ou des artistes pédagogues. J’ai la chance de présider également la toute jeune association Anescas qui regroupe la quinzaine d’établissements d’enseignement supérieur dans le domaine des arts de la scène. Je voulais simplement témoigner du fait que nous nous associons à ce qui a été dit, notamment par Emmanuel Tibloux en début de rencontre, sur le fait que cette politique de structuration de l’enseignement supérieur culture se trouve vraiment au milieu du gué, qu’il faut la terminer, qu’elle rencontre des difficultés en termes de moyens financiers et de locaux, mais aussi en ce qui concerne les statuts des établissements, les statuts des enseignants et toutes les questions sur la recherche et les spécificités de la recherche en art.

Je voudrais par ailleurs attirer l’attention de nos élus sur la paupérisation des étudiants, qui est un véritable sujet. Patrick Bloche a évoqué la question des bourses et de l’alignement de celles du ministère de la Culture sur celles du ministère de l’Enseignement supérieur, mais au-delà de cela, nous avons de nombreux étudiants qui sont en situation précaire, et je remercie à ce sujet Corinne Diserens pour ce qu’elle a dit sur le modèle anglo-saxon.

Une autre évolution de nos étudiants et stagiaires en formation continue que nous constatons dans le spectacle vivant est une ouverture esthétique et disci­plinaire. Aujourd’hui, lors de nos auditions d’entrée, tous les candidats ayant une colonne vertébrale classique participent aussi à un ensemble de musique actuelle, de musique contemporaine ou de jazz par exemple, et inversement. Et de plus en plus d’étudiants en musique, en danse et en théâtre sont impliqués dans des projets réunissant des collègues ou des pairs plasticiens. J’ai trouvé extrêmement intéressant ce qu’a dit Corinne Diserens qui a parlé de « lieu d’hospitalité » pour l’expérimentation. Nous essayons de le mettre en place et c’est un vrai projet. Je pense qu’on aurait entre nous, entre nos écoles d’art qui sont différentes d’un point de vue disciplinaire, un très beau chantier à travailler en com­mun, pour inventer des lieux d’hospitalité qui permettraient à nos étudiants de créer, d’inventer en toute liberté et en toute hospitalité.

J’en profite pour témoigner aussi du rapprochement que l’Anescas veut entreprendre vis-à-vis de l’ANdÉA.

Jacqueline Febvre 
[directrice de l’École supérieure d’art et de design d’Orléans]

Je vous remercie tout d’abord pour cette matinée parce qu’elle elle nous fait du bien à tous et je crois que nous en avons vraiment besoin. Je voudrais revenir sur une chose un peu négative qui est la fragilité de notre réseau et insister à nouveau sur le fait que nous avons aujourd’hui des écoles d’art formidables, qui ont un rôle à jouer, etc., mais qui ont une fragilité financière extrême, et je ne voudrais pas ne pas insister là-dessus. Il y a certainement des choses sur lesquelles nous devons réfléchir, et j’en appelle à toutes vos compétences réunies pour nous sortir de cette fragilité, en pensant notamment à une « sanctuarisation » ou du moins une pérennisation des budgets de nos tutelles, tutelles qui sont pour 80 % d’entre nous municipales et territoriales. C’est une question tout à fait importante et je pense qu’elle doit être aussi au cœur de nos réflexions d’avenir. Bien sûr, nos écoles doivent se déployer mais pour se déployer, il faut qu’on arrête d’être dans cette étroitesse de fonctionnement, il faut oser des logiques de développement. Nous avons parlé des problèmes du statut des enseignants, et nous, directeurs, nous savons bien que pour l’instant nous nous renvoyons la balle entre l’État, les Régions et les Villes. J’insisterai également sur l’étroitesse des budgets des équipes administratives et techniques qui portent aussi nos écoles et qui doivent développer nos projets à l’inter­national, développer nos projets en termes de visibilité. Nous avons plein de projets mais nous avons une vraie difficulté de fonctionnement depuis le passage à l’EPCC et cette difficulté est financière. Je ne veux pas être négative, mais il ne faut pas se leurrer, nous avons une corde autour du cou, c’est lourd et je voulais en témoigner.

Pour terminer, je voulais dire que nos écoles sont bien entendu des acteurs essentiels dans le monde de l’art, mais elles ont aussi un rôle sociétal, dont certains d’entre vous ont parlé. Nos écoles sont ouvertes sur leurs territoires et ont un rôle au niveau du réseau économique, dans le sens le plus intelligent du terme. Il y a tellement de choses à faire aujourd’hui de la part de nos jeunes qui sont bien sûr les artistes de demain, mais aussi les créateurs de demain sur le territoire, et qui ont donc un rôle extrêmement important à jouer.

Laurent Devèze 
[directeur de l’Institut supérieur des beaux-arts de Besançon / Franche-Comté]

Je voudrais revenir sur l’international pour souligner qu’il ne doit pas s’agir pour nos élus de voir l’international uniquement en termes d’attractivité du territoire. La dimension internationale des écoles d’art va au-delà ; l’école d’art est vécue comme lieu de résidence, lieu hospitalier, capacité d’accueillir dans la différence. Cela apparaît comme une sorte de catéchèse un peu molle, mais aujourd’hui des images d’actualité assez récentes nous font dire qu’on peut également jouer un rôle au niveau de la coopération internationale. Je ne dis pas que les écoles d’art en tant que réseau vont régler la question des réfugiés, naturellement pas. Mais qu’il existe des gens parmi ces réfugiés qui viennent des Beaux-Arts de Bagdad ou de Damas, c’est certain. Le fait que nous sommes un réseau à qui cette question est collectivement posée, c’est certain également. Le fait qu’une sorte de pensée brunâtre se déploie assez aisément aujourd’hui avec le refus de l’étranger, c’est aussi une question qui nous est posée. Qu’on ait, comme j’ai la chance d’en avoir au sein de l’école, une résidence d’artistes ou pas, considérer l’inter­national aussi dans cette dimension peut se traduire par exemple simplement en atténuant certaines choses dans nos capacités de sélection et en comprenant que quelqu’un qui vient d’Algérie ou d’Afrique du Sud n’a peut-être pas un cursus aussi facile et aussi linéaire que les autres candidats. C’est aussi la force et la grandeur de notre réseau, d’être capable d’accueillir. Je pense que la réflexion sur l’international va au-delà des jumelages, au-delà de l’attractivité des territoires ; elle se situe sur un niveau éthique qu’il faudrait mettre en valeur, parce que beaucoup de choses ont été faites. Je suis très admiratif de la manière dont les écoles d’art depuis des années, sans le dire, accueillent l’autre.

Emmanuel Tibloux
Cette dimension d’hospitalité, que tu soulignes après Corinne, nous est évidemment chère et essentielle, et nous la mettons souvent en avant, non pas comme un étendard mais comme une hospitalité réelle. À l’endroit des réfugiés, de ce qu’on appelle aujourd’hui les réfugiés – je ne voulais pas en parler tant la disproportion me semble grande entre l’ampleur de la catastrophe et ce que peuvent faire les écoles à cet endroit – néanmoins puisque tu abordes le sujet, je voudrais dire que nous avons récemment adressé un courrier[11] à tous les préfets en disant que nous, les écoles d’art en réseau au sein de l’ANdÉA, étions disposées évidemment à accueillir celles et ceux de ces réfugiés qui souhaiteraient engager, poursuivre, reprendre des études artistiques.

La séance de ce matin a été longue et enrichissante. Je pense que c’est un excellent point de départ dans la mesure où elle a vraiment rempli sa mission : nous indiquer un champ, nous aider à mesurer la profondeur de ce champ et fixer un certain nombre de lignes ou d’axes. Je remercie très chaleureusement toutes les participantes et tous les participants à cette séance d’ouverture et je vous remercie toutes et tous pour votre attention. Je vous souhaite d’excellentes assises.

Table ronde d'ouverture, Demain l'École d'art, le 29 octobre 2015 © Amandine Quillon

Notes :

[11] Courrier de l’ANdÉA aux préfets de Régions, « Accueil des réfugiés – mobilisation des écoles supérieures d’art et de design publiques », le 22 octobre 2015. www.andea.fr/doc_root/ressources/communiques-andea/563c7593bfc1b_courrier-prn-fets-rn-fugin-s-andea.pdf

source : demainlecoledart.fr