Discours de Pierre Oudart
Directeur adjoint de la création artistique et délégué aux arts plastiques, ministère de la Culture et de la Communication

Pourquoi est-ce toujours l’État qui doit parler en dernier ? Il y a une raison : cela permet de corriger ce qui a été dit avant ! Concernant le budget des arts plastiques, bien sûr, il n’y a jamais assez d’argent… Cependant, le budget des arts plastiques pour 2016 augmente de 6,7 %. Cette évolution est passée relativement inaperçue. Plus sérieusement, je dirais que personne n’a le chiffre aujourd’hui au ministère de la Culture, parce que dans ce budget qui est présenté dans les tableaux dont parlait Catherine, il en manque. D’abord, il manque ce que l’on met dans les écoles. Quand on regarde le budget des écoles nationales et les subventions apportées aux écoles territoriales, la masse salariale des enseignants des écoles nationales n’y figure pas, et surtout il n’y pas les chiffres du Centre Pompidou ni ceux de tous les musées d’art contemporain, ni ceux du Grand Palais pour ce qu’il fait en matière d’art contemporain, ni les subventions versées à d’autres institutions nationales du secteur des arts plastiques. C’est un peu comme si l’on présentait le budget du spectacle vivant sans la Comédie-Française et l’Opéra.

Je suis très heureux d’être ici, parce que je pense vraiment que le travail que font l’ANdÉA et toutes les écoles depuis quelques années est fondamental. Il me semble tout d’abord intéressant de souligner que ce réseau des écoles supérieures d’art est peut-être le plus ancien réseau d’institutions culturelles et artistiques en France, puisque certaines de ces écoles sont plus que bicentenaires. Au-delà de l’importance qu’elles ont pour l’enseignement de l’art, les écoles d’art ont aussi une importance pour la vie culturelle de la nation dans son entier et notamment par leur maillage du territoire national. Cela a été dit tout à l’heure et je pense que c’est important de le souligner. Quand on regarde la carte, on voit qu’elles sont assez bien réparties, et qu’en ces temps de décentralisation accrue, il est important, comme le disaient Catherine Texier et Georges Képénékian également, de les considérer comme une part essentielle des écosystèmes de l’art qui doivent se développer sur les territoires. En outre, trop longtemps au sein de la Délégation aux arts plastiques du ministère de la Culture les écoles supérieures d’art ont été séparées des centres d’art, des FRAC et des dispositifs en direction des artistes, alors qu’elles sont peut-être le premier maillon de ces dispositifs à réinventer.

Sur cela aussi, je voudrais répondre à Catherine Texier. Il faut toujours aller plus vite, il faut toujours aller plus fort, mais je pense que nous n’avons pas démérité collectivement, avec l’ensemble des intervenants d’aujourd’hui et l’ensemble des collègues, des associations. Si l’on se rappelle la campagne électorale de 2012, on y parlait de loi sur le spectacle vivant. Aujourd’hui, nous avons une loi sur l’ensemble du champ de la création. Est-ce que les arts plastiques n’y sont pas assez présents ? Je ne sais pas. Ce que je vois en tout cas, c’est que les politiques publiques des arts plastiques sont plus récentes que les politiques du spectacle vivant, qu’elles sont moins structurées et en cours de restructuration. Elles ont à peu près trente ans, mais le fait d’identifier un champ des arts plastiques au sein du ministère de la Culture, cela date du ministère Lang et du fameux rapport Troche de 1982 [8]. Il nous faut, dans un même mouvement, à la fois compléter ce travail de restructuration et nous réformer, car trente ans c’est jeune, mais cela peut être aussi suffisamment vieux pour considérer que les situations politique, administrative, artistique, idéologique ont changé depuis 1982. La Ministre s’est prononcée favorablement hier pour le Conseil national des professions des arts visuels ; désormais il faut donc le faire. Quant au CNESER Culture, les choses avancent aussi. Ces instruments de dialogue et de structu­ration, une sorte de parlement des arts plastiques, sont en cours de constitution.

Ces écoles qui maillent le territoire national, je pense qu’elles sont ancrées en effet dans leur territoire, mais qu’elles doivent aussi rester ce qu’elles ont toujours été, c’est-à-dire des portes ouvertes sur le monde. C’est ce que Corinne Diserens disait sur l’international, mais je préfère parler d’ouverture sur le monde, car il ne s’agit pas seulement de se porter vers l’international mais aussi d’accueillir l’international. Je citerai ici l’un des fondateurs du musée national d’Art moderne, Jean Cassou, écrivain, résistant. Voilà ce qu’il écrivait dans Une vie pour la liberté [9], en 1981 :

« Comment se fait-il que ce soit […] en France, dans le pays le plus fermé sur lui-même, le plus indifférent à tout ce qui est étranger […], comment se fait-il que ce soit dans ce pays le plus manifestement bourgeois que soit née à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle cette Internationale qu’a été la révolution de l’art moderne ? »

Je ne vais pas répondre à Jean Cassou, mais j’ai la certitude que si la France artistique était internationale dans les années 1930, au moment même où se nouaient les fascismes, le nazisme, si elle était artistiquement internationale contre ceux qui dénonçaient le cosmopolitisme, c’est en grande partie grâce aux écoles d’art. Même s’il a fallu attendre un peu de temps pour que les écoles nationales d’art, et notamment celle de Paris, accueillent les femmes, j’y reviendrai. Nous ne pouvons pas rester aujourd’hui insensibles à la question de l’accueil des étudiants étrangers. Parmi tous les artistes qui ont fait la vie artistique de la France au XXe siècle, combien d’entre eux étaient ou avaient d’abord été des réfugiés ? Je pense que le réseau des écoles d’art a un rôle à jouer ici. Comment doit-on en débattre ? Il y a des solutions à trouver avec les élus, peut-être avec l’État, nous en reparlerons je pense pendant ces journées.

Le réseau des écoles d’art est un réseau multiséculaire qui a effectué une mue incroyable. Mue du processus de Bologne, bien sûr, mais ce qui m’impressionne le plus, c’est la recherche et la façon dont celle-ci s’est structurée. J’ai bien entendu aussi, Emmanuel, combien vous vous interrogez sur le financement de la recherche : avec Philippe Belin et Isabelle Phalippon-Robert, nous y sommes particulièrement attentifs. Je crois que le réseau des écoles d’art françaises peut devenir, si ce n’est pas déjà le cas – Bernhard Rüdiger, enseignant-artiste à l’Enbsa Lyon le dit souvent – le premier réseau de recherche au niveau international de la recherche sur l’art. Cela peut être notre ambition ; à nous collectivement de trouver les moyens. Je me suis demandé comment vous aviez fait pour réussir cette mue incroyable. La seule réponse que j’ai trouvée, c’est que vous êtes un réseau. Le terme « réseau » est assez passe-partout, mais je voudrais m’y arrêter, parce que les différents points que je vais citer me semblent être ceux auxquels il faut être attentif et ceux qu’il faut préserver.

Il me semble qu’il n’y a pas de tête de réseau. Ce qui fait votre force, c’est que la plus petite école d’art vaut la plus grande, et cela doit rester ainsi. Je ne sais pas s’il y a des écoles qui ne sont pas présentes, il faut leur dire qu’aujourd’hui une école d’art qui n’est pas dans le réseau est une école qui est en voie de décrochage, si ce n’est pas déjà fait. Qu’est-ce qu’un réseau ? C’est un ensemble où chaque point partage les mêmes valeurs. Le travail de charte que vous avez engagé me semble particulièrement intéressant, parce que c’est une façon d’innover en termes de politique publique : la « chartisation ». Je remercie Muriel Lepage d’avoir animé ce groupe de travail sur les discriminations, car il n’était pas facile, après le rapport du Sénat sur l’égalité hommes-femmes [10], d’engager ce travail dans les écoles, et, la haute fonctionnaire à l’égalité hommes-femmes du ministère, Muriel Genthon l’a dit, ce travail est vraiment réussi. Ce réseau est fort mais, vous l’avez dit aussi, il est également fragile et pas uniquement à cause des problèmes de financement, même si dans certains cas, cela peut être particulièrement inquiétant. Il y a trois enjeux au moins que je voudrais souligner.

Le premier, c’est la lutte contre les discriminations. En premier lieu, la discrimination hommes-femmes, parce que, dans le champ des arts plastiques, il y a encore des progrès à faire. En effet, alors que le premier réseau d’institutions culturelles dirigées en majorité par des femmes est le réseau des centres d’art, nous n’avons jamais plus de 30 % en moyenne d’expositions d’artistes femmes. Quand on regarde les acquisitions publiques des FRAC, on s’aperçoit qu’on acquiert en moyenne 30 % d’œuvres d’artistes femmes et qu’elles sont en moyenne 30 % moins chères que celles des artistes hommes. Cela ne peut pas être une décision ministérielle, une décision autoritaire, mais cela peut être une mobilisation. Cesser les ricane­ments autour de ce sujet et le traiter avec beaucoup de détermination.

Toutes les discriminations – et la charte que vous avez élaborée et que vous avez commencé à mettre en œuvre le dit –, il faut en parler et rappeler à quel niveau cela se joue. Patrick Bloche l’a dit, cela se joue d’abord au niveau de la sélection, mais également au niveau de la vie étudiante, et là aussi la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire pour améliorer toutes les questions de vie étudiante, et je pense en particulier au logement. Quand on parle de lieux de logement et de travail pour les jeunes artistes, la Ministre en a parlé dans le cadre des Assises de la jeune création, on pense aussi bien sûr au logement étudiant et on travaille sur la question avec le CNOUS et les CROUS.

Toutes les diversités, cela signifie aussi les diversités esthétiques, artistiques, de pratiques artistiques. Comment travaille-t-on sur les diversités ? Corinne Diserens l’a abordé : en y travaillant aussi du point de vue de la recherche critique et de la recherche scientifique.

Le troisième enjeu a également été cité, c’est celui de la gouvernance. Je crois que les écoles supérieures d’art pourraient être des laboratoires d’évolution de la gouvernance, d’une gouvernance plus partageuse, avec la participation des enseignants, mais aussi celle des étudiants, dans des modèles plus participatifs et aussi moins autoritaires, dans le sens de la violence dont parlait Corinne Diserens tout à l’heure. Il existe des solutions. Par exemple, dans la circonscription de Patrick Bloche je crois, dans le XIe arrondissement de Paris, s’est ouverte une initiative sur l’innovation en matière de politique publique, Superpublic, à l’initiative de la Ville de Paris mais aussi du ministère de la Fonction publique. Il y a à inventer : quelle gouvernance pour les écoles supérieures d’art ? C’est un enjeu qui complétera de façon utile tout le travail, que je salue aussi, que vous avez fait sur le recrutement des directrices et des directeurs.

Il y a toujours du risque à bouger, mais je sais que les écoles ne le craignent pas. C’est un engagement d’honneur de le faire car quand on s’occupe d’art, on ne peut faire autrement : zéro discrimination, infinie diversité, participation.

Parce que ce n’est pas seulement l’art de demain, l’art de l’avenir, qui s’invente dans vos écoles, c’est l’avenir tout entier.

Notes :

[8] Michel Troche, Commission de réflexion sur les arts plastiques : premier rapport, Délégation aux arts plastiques, ministère de la Culture, Paris, 15 février 1982, 123 p.

[9] Jean Cassou, Une vie pour la liberté, Paris, Éditions Robert Laffont, 1981, 326 p.

[10]La place des femmes dans l’art et la culture : le temps est venu de passer aux actes, rapport d’information du Sénat n° 704 (2012-2013) de Brigitte Gonthier-Maurin, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, déposé le 27 juin 2013.

source : demainlecoledart.fr