Discours d’Olivier Bianchi
Président de l'EPCC École Supérieure d'Art de Clermont Métropole, Maire de Clermont-Ferrand, Président de Clermont Communauté et Coprésident de la commission Culture et attractivité du territoire de France urbaine

Emmanuel nous l’a dit, le maître mot au fond, est la question de la mobilisation. Nous devons collectivement nous mobiliser et vous m’autoriserez à traiter à la fois de l’angle national eu égard à cette coprésidence, puisque je copréside la commission culture de France urbaine avec le Maire de Cannes, et du niveau du territoire et de l’école d’art de Clermont, dont tu as rappelé, chère Farida, que ce qu’il y avait de meilleur dans cette école, était sa directrice. Tu as raison, mais j’espère que tu as bien noté que si elle est là, c’est essentiellement pour ses compétences et la qualité du travail qu’elle génère dans cette école et dans cette aventure que nous vivons ensemble depuis maintenant quelques années.

Je parle de mobilisation parce que la question aujourd’hui – j’ai l’occasion de le dire dans de nombreux rendez-vous et réunions nationales en matière culturelle – c’est le retour nécessaire de la politique, du politique dans notre projet. Vous fixez comme questionnement aujourd’hui l’avenir de l’école d’art dans un bouleversement très important. Rien ne serait pire pour les acteurs culturels de se satisfaire finalement de l’institutionnalisation du champ professionnel, rien ne serait pire que de se contenter de l’entre-soi au moment où la problématique principale qui nous est posée est celle de notre ancrage dans les territoires, celle de notre relation aux publics ou aux usagers, celle au fond de la place de l’art, de la place de la culture et de la place des artistes dans notre société.

Nous avons besoin de ce retour du politique. Et je dois dire que le mouvement commence à prendre forme et peut-être que l’ANdÉA est l’une des premières structures, l’un des premiers réseaux à avoir compris cela, à travers d’abord, Georges Képénékian l’a rappelé, nos rencontres de Metz où cela avait déjà été évoqué, et par les conséquences que vous en tirez aujourd’hui sur notre rassemblement. Prendre la décision symbolique très forte de réunir les présidents des écoles – souvent des élus, pas toujours mais souvent des élus, en tout état de cause ceux qui défendront demain le statut des enseignants et les financements dans un contexte difficile, ceux qui défendront le projet artistique sur le territoire – est une excellente chose. Ces présidents vont se retrouver ici et je pense que c’est très important que nous ayons symboliquement choisi cette date anniversaire pour bien montrer qu’il n’y avait plus de séparation entre d’un côté les enseignants, chercheurs, directeurs d’établissement et étudiants et de l’autre les politiques, les territoires et les présidents.

Le deuxième signe que vous nous envoyez, qui est extrêmement positif, est celui d’avoir choisi de traiter – et je pense que c’est assez nouveau dans le champ de la culture – du retour de la question du rôle, de la fonction politique et sociale des écoles d’art. Reposer aujourd’hui ne serait-ce que ces termes, la fonction politique et sociale d’une institution culturelle, c’est, vous l’aurez compris de mon point de vue, une révolution. Nous revenons à des débats que nous avions minorés depuis de nombreuses années, pensant que nous étions arrivés à une sorte de fin de l’histoire de la décentralisation culturelle, que nous étions arrivés à des résultats formidables. Or la situation de fracture morale, politique, sociale de notre pays aujourd’hui prouve que ce développement culturel n’a pas suffi, ne suffit pas, et que nous devons nous réinterroger et remettre à l’ouvrage ces problématiques.

Voilà les questions que vous posez et je vous remercie d’être parmi les premiers à saisir cette opportunité. Je voudrais dire également, puisque nous cherchons des solutions, qu’il n’y a pas de magie ni d’effet miracle. Les solutions ne se trouvent ni dans un président charismatique, ni dans un-e seul-e directrice ou directeur brillant, ni même dans un seul établissement. La solution ne sera que collective, la solution ne passera que par le travail et par la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la communauté culturelle et artistique et de la communauté des écoles. Ce n’est pas du marketing territorial qui sauvera les écoles d’art, ce n’est pas ce projet de communication des territoires. Ce qui va générer une école d’art en réussite demain, c’est son insertion et son ancrage dans la politique territoriale, mais aussi son excellence et son rayonnement international.

Nous avons besoin de ces deux piliers. C’est pourquoi ce qui compte à mon avis aujourd’hui, c’est d’abord de réaffirmer que les écoles supérieures d’art sont des lieux de formation des artistes de demain, mais aussi d’une véritable sensibilisation des publics. Cela signifie que, par-delà les objectifs strictement pédagogiques, il y a aussi un rôle social et politique à jouer sur l’ensemble de la population de nos territoires, et j’espère qu’on en parlera. Certains territoires doivent être reconquis d’une manière culturelle – je pense aux actions dans les quartiers sensibles notamment. Les écoles d’art doivent s’inscrire dans les contrats de Ville et les politiques de la Ville. Voilà les objectifs que nous devons nous assigner. Nous ne devons pas être une sorte de supplément d’âme d’un projet du territoire. L’école d’art doit être entièrement partie prenante de son territoire.

À Clermont-Ferrand par exemple, nous sommes ce que nous sommes, parce que nous avons eu cette chance extraordinaire de l’arrivée d’une université. À l’origine, je n’arrive pas d’ailleurs à savoir pourquoi, ce sont des conseillers municipaux, à la fin du XIXe siècle, qui ont décidé de créer une école municipale de droit et une école municipale de médecine. J’aimerais connaître la genèse de cette histoire pour comprendre comment des élus locaux dans une ville de 40 000 habitants ont eu une telle idée saugrenue dans l’histoire de cette ville. Mais en faisant cela, ils ont dévié l’histoire de la ville. Michelin a été la deuxième déviation qui nous a transformés. Cela signifie que la question de l’enseignement supérieur et de la recherche est ce qui a fondé l’identité clermontoise. C’est là que se passe aujourd’hui la recherche pour tout le Massif central. En effet, par-delà notre rôle politique en Auvergne, nous irriguons beaucoup autour de nous, sur un certain nombre de départements dans les autres régions.

Nous avons donc à travailler sur les questions de recherche et à renforcer notre lien avec l’écosystème de l’enseignement supérieur sur notre territoire. Je vais même plus loin : nous avons à renforcer notre relation avec l’enseignement supérieur artistique, nous avons des passerelles à construire avec les conservatoires de musique, de danse et de théâtre. La relance par le ministère de la réforme des conservatoires et la réflexion autour des pôles d’enseignement supérieur de musique sont des pistes qui doivent être explorées en partenariat avec vos établissements, nos établissements et les conservatoires de région.

Ainsi y a-t-il cet ancrage territorial, ce lien dans la cité avec les publics, les artistes et le monde de la culture, mais c’est aussi une question de rayonnement et d’attractivité. C’est pourquoi nous avons un rôle majeur en matière de travail à l’international. Il est important que nous nous donnions comme objectif cette problématique de l’international et d’ouvrir aujourd’hui nos artistes et nos artistes en formation aux problématiques internationales et aux courants de l’art au niveau international.

Pour réussir tout cela, il faut que nos écoles soient au cœur de la ville, au cœur de son territoire. À Clermont-Ferrand, nous avons décidé de mettre en place des états généraux de la culture qui se termineront le 30 novembre. C’est justement cette traduction du retour de la politique : réunir l’ensemble des acteurs pour débattre de la prochaine décennie culturelle en matière de politique publique sur le territoire de la Ville et de l’Agglomération. C’est parce qu’il y a ce débat, et que je souhaite que l’école d’art en soit partie prenante, cheville ouvrière, pierre angulaire, que nous réussirons à mettre en place ces politiques et à les traduire pour l’ensemble des acteurs culturels. Demain, vous le savez, l’ambition d’être capitale européenne de la culture en 2028 n’est pas un simple moteur de dynamique territoriale. C’est aussi pour Clermont, redire à quel point, au moment où dans notre société certains s’interrogent sur la nécessité et l’intérêt de la culture, nous sommes un territoire, nous sommes des élus, nous sommes des acteurs culturels qui pensons que la culture est au centre de la construction de la société et du collectif et au centre de l’épanouissement des individus.

Voilà aujourd’hui comment nous pouvons construire les écoles d’art de demain : retour du débat, retour du collectif, retour de l’insertion territoriale. Et n’évacuons aucune des discussions difficiles.

La première discussion difficile, et je conclurai par là, vient du fait que les élus ont un rapport différencié à la question, y compris au sein de la commission culture de l’association des maires de grandes villes. Les maires ne sont pas tous aujourd’hui sur ce consensus. Cela signifie, et c’est pour cela que c’est un combat, qu’il y a à avancer nos valeurs pour réussir à convaincre. Et nous sommes, il faut le dire, dans un moment de recul. Nous devons être encore plus pugnaces parce qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus sur cette ligne que je trace.

Le deuxième débat difficile est celui du statut des enseignants. L’AMGVF avait avancé une position, l’ANdÉA en défend une autre. Nous avons semble-t-il de nouvelles propositions qui sont avancées par l’État. Je pense qu’il faut aujourd’hui se mettre autour d’une table pour en discuter. Il y a des pistes intéressantes dans ce qui est proposé et des réflexions qui doivent être menées. Je suis disponible, je l’ai déjà dit, pour que France urbaine[7], aux côtés de l’ANdÉA et avec les services de l’État, réfléchisse à cette question, car nous devons trouver des solutions dans l’intérêt de tous, des enseignants bien sûr, mais plus généralement de la qualité de l’enseignement et de la recherche, et ce dans un contexte de financement complexe de nos écoles.

Enfin, troisième débat compliqué que nous devons mener et qui est peut-être moins compliqué, Farida tu l’as dit, en Auvergne-Rhône-Alpes qu’ailleurs, ce sont ces nouvelles Régions qui vont redessiner nos cartes. Nous, nous avons déjà construit ce nouveau réseau. J’ai bien noté que Clermont-Ferrand aura dès le 1er janvier une subvention augmentée de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous sommes heureux de revenir dans la Région Rhône-Alpes, puisque nous appartenons à la 136e Région d’Europe et que nous allons basculer directement à la septième place. Vous imaginez ce hub extraordinaire, ce saut, qui est pour nous un vrai bonheur ! Il aurait été terrible que nous soyons mis avec le Limousin. Il vaut mieux être maire de la deuxième ville de l’Empire romain que chef d’une tribu gauloise. Mais pour le reste, il est important de comprendre, que nous avons travaillé ensemble en Rhône-Alpes et en Auvergne. Les Régions ont beaucoup travaillé et les réseaux sont déjà en place. Nous avons ici des outils pertinents, mais ce n’est pas le cas partout. Et je crains – c’est un sujet qu’il faudra que nous abordions avec les présidents – que la première année du mandat de certaines Régions soit extrêmement tournée vers leur organisation interne. Nous avons très vite des places à prendre, des rôles à jouer, des propos à tenir. En tout cas, je serai de ceux qui aideront, là où je pourrai, à ces discussions.

Merci à tous et bonnes assises.

Notes :

[7] France urbaine, née de la fusion de l’Association des Maires de Grandes Villes de France (AMGVF) et de l’Association des Communautés Urbaines de France (ACUF), regroupe les élus des métropoles, des grandes communautés et des villes centres ou périphériques. Elle compte 96 membres de toutes tendances politiques, représentant près de 30 millions d’habitants.

source : demainlecoledart.fr