1 Enseigner la création par la création

Bernhard Rüdiger
Nous avons appelé la première séquence « Enseigner la création par la création ». Cela peut sembler éton­nant car le mot « art » définit déjà l’enseignement dans les écoles d’art et de design. Il se trouve que, grâce au travail politique et de lobbying qui a été mis en place à l’ANdÉA ces dernières années, on s’aperçoit qu’il est souvent difficile de discuter avec des interlocuteurs dans le domaine politique ou avec d’autres instances de l’enseignement supérieur en employant simplement le mot « art ». Beaucoup de nos interlocuteurs pensent avoir un avis déjà bien arrêté sur ce que c’est que de l’art. Le mot « création » entend précisément souligner la nature de l’enseignement qui ne vise pas la connaissance de l’art ni la formation d’un goût, mais sa pratique individuelle. 

L’emploi de ce mot semble efficace même s’il peut être important de lever les éventuels malentendus et de le préciser davantage. C’est un des buts de ce forum.

Le mot « créativité » est aujourd’hui très diffus et a été adopté même par le monde marchand, celui de la communication et souvent aussi par un enseignement supérieur bien loin de nos préoccupations. Ce mot exprime la qualité d’une personne, sa capacité à associer les objets et les idées d’une façon inattendue. Directement venue du monde de l’art, cette notion s’applique aujourd’hui à tout. Mais, en art, cette notion latine tout droit sortie de la Renaissance ne s’entend pas comme la seule qualité d’une personne : les créateurs, qui, depuis l’industrialisation et la multiplication des applications possibles des métiers d’art, se réclament d’un art libre, travaillent à une œuvre dépourvue de finalité. En allemand, on utilise le mot « freischaffende Kunst », un art de création libre ou indépendante ; on peut dire « critique » pour ce qui concerne nos écoles supérieures d’art et de design. Il ne s’agit pas tant d’originalité, d’ « inattendu », que d’absence de finalité.

En allemand, le mot « Schöpfung », très proche de la notion de « Schaffen », exprime l’idée d’un acte de création qui puise à la source. Il évoque la qualité téléologique de la création, la création ex nihilo qui s’organise en vue d’une chose à venir ; créer quelque chose là où il n’y avait rien auparavant. L’artiste est un créateur qui met en place l’acte primordial de faire en donnant forme à ce qui, dans un bouillon informe, était indistinct. L’artiste donne « Gestalt » – toujours avec un mot allemand – il donne figure, il donne corps à quelque chose qui n’était pas auparavant. L’artiste est créateur et il n’est pas forcément créatif au sens courant de ce mot actuel.

On ouvre ce forum sur l’enseignement de la création par la création avec Rosa Joly, artiste diplômée de la Hochschule für bildende Künste de Hambourg et artiste-chercheur au sein de l’unité de recherche Art Contemporain et Temps de l’Histoire (École des Hautes Études en Sciences Sociales et École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon), et Pascal Simonet, artiste et professeur à l’École supérieure d’art et design Toulon Provence Méditerranée.

Rosa Joly a un parcours d’artiste, elle est passée par différentes étapes de formation : universitaire en communication jusqu’au Master recherche – comme on le disait tout à l’heure – elle a ensuite étudié dans une école des beaux-arts française, ici à Lyon [École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon], puis, ne voulant absolument pas s’arrêter là – j’espère qu’un jour, tu arrêteras… Est-ce fini ? – à l’école des beaux-Arts de Hambourg. Rosa est ainsi surdiplômée pour l’emploi, si l’on peut dire. Ce qui nous intéresse parmi les choses que Rosa peut nous dire, c’est aussi son expérience allemande justement, puisqu’elle connaît à la fois les grandes écoles et universités françaises et une école d’art allemande et peut donc témoigner de ces différentes expériences.

Pascal Simonet enseigne aujourd’hui à Toulon. Il a une activité d’artiste et est également passé par des phases différentes. Je pense qu’il est important de le rappeler. Pour moi, c’est également une chose très importante dans ma propre expérience, celle d’avoir été assistant d’artiste. Tu as donc été l’assistant de Hans Hartung pendant une assez longue période, quatre ou cinq ans me semble-t-il. Tu as aussi été très actif dans des espaces autogérés et, ce qui nous a beaucoup intéressés, très actif aussi dans la réflexion sur la pédagogie et sur l’invention de nouveaux modules d’enseignement. Je laisse la parole à Rosa Joly.

Rosa Joly
J’ai un peu traversé le spectre possible des études, qui ont d’abord été une Hypokhâgne et une Khâgne, que j’ai suivies par envie de faire des études de lettres, sans vraiment viser à intégrer l’École Normale Supérieure, mais plutôt de manière détendue en étant intéressée par la littérature, la philosophie, les humanités. J’ai ensuite passé un pacte, non pas avec le diable, mais avec ma mère, qui était de dire que j’intégrerai une grande école pour ensuite avoir le droit d’étudier aux Beaux-Arts, afin d’avoir quelque chose en poche, puisqu’en France, en tout cas du point de vue de la réussite sociale, c’est assez important d’avoir un diplôme.

Ainsi ai-je suivi des études dans une école de communication à Paris, où j’ai obtenu un Master recherche parce que j’ai assez rapidement constaté que je ne voulais pas travailler en entreprise. Au sein de cette école, je me suis plutôt destinée à être thésarde, tout en gardant à l’esprit cette idée d’intégrer une école d’art dès que possible. J’ai donc passé le concours de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon en même temps que je terminais mon Master et l’écriture d’un mémoire.

J’ai intégré l’Ensba Lyon et, de manière assez radicale, cela a bouleversé mon mode d’apprentissage : j’ai passé beaucoup de temps à la bibliothèque, à découvrir par moi-­même tout un pan de culture que j’ignorais. Ici, j’ai l’impression que j’ai choisi certains interlocuteurs, je n’ai pas été très scolaire dans le sens où, très rapidement j’ai vu les personnes qui m’intéressaient. J’étais un peu plus âgée que la moyenne des étudiants, par conséquent un peu moins stressée ou pliable à ce joug de la notation, et j’ai plutôt utilisé les pôles techniques et parlé avec certaines personnes qui m’ont ouvert les yeux sur des choses que j’ignorais. À la bibliothèque, j’ai découvert un livre d’entretiens[1] d’un grand artiste contemporain, décédé en 2012, qui est Mike Kelley et dans ce livre, j’ai lu des témoignages d’artistes qui étaient ses amis. Parmi ces témoignages, il y avait celui d’une artiste allemande, Jutta Koether, qui, depuis le début des années quatre-vingt, vivait aux États-Unis. J’ai découvert, un peu par hasard, qu’elle enseignait à Hambourg depuis un an et que l’école de Lyon avait un partenariat avec cette école dans le cadre du programme Eramus. J’y suis donc partie pour étudier avec cette personne, qui m’a d’abord intéressée parce que parmi ses influences elle citait surtout des écrivaines : Ingebord Bachmann et Sylvia Plath. Elle a des influences qui sont à la fois allemandes et américaines puisqu’elle a travaillé pendant vingt ans aux États-Unis et qu’elle a toujours un pied à New York.

Jutta Koether a vraiment un enseignement très différent des professeurs que j’avais rencontrés avant – pas tous – elle est très peu encline à donner des conseils ou à dire ce qui est bien ou pas. Ce n’est pas quelqu’un auprès de qui on cherche l’approbation. En Allemagne, l’école, à Hambourg en tous cas, est structurée par domaines (sculpture, peinture...) et les professeurs dirigent, comme aux Beaux-Arts de Paris, des ateliers sous leur tutelle. Il y a donc une sorte de mise en avant de certaines personnalités et il y a d’ailleurs pas mal de copistes étudiant dans chaque atelier, c’est-à-dire que l’on reconnaît les pattes de certains professeurs ! Jutta Koether n’échappe pas forcément à la règle, du point de vue de l’influence qu’elle peut exercer sur de jeunes étudiants, mais elle est assez démocratique, c’est-à-dire que son avis ne compte pas plus que celui des élèves de la classe. C’est vraiment une sorte de mur face auquel il est simplement nécessaire de trouver sa position. On est assez rapidement considéré comme un artiste là-bas et pas vraiment comme un étudiant.

Un autre de mes professeurs, également très enclin à la démocratie, mais de manière encore plus clairement américaine – west coast – est Matt Mullican. Il s’agit aussi d’un professeur qui se situe plutôt dans le partage et traite les étudiants d’égal à égal, ne se situant jamais dans un rapport de notation. Il est pour moi une source d’inspiration car il a étudié avec John Baldessari et est ensuite allé à New York où il a développé des performances. L’important pour moi était ainsi de rencontrer ces artistes qui, comme Matt Mullican, sont venus en Europe après avoir fait une carrière aux États-­Unis ou, comme Jutta Koether, qui, venus d’Europe, ont développé quelque chose aux États-Unis. J’étais intéressée par ces positions d’échange et de mixité culturelle, ces positions d’artiste qui regardent outre-Atlantique. C’est aussi là-bas que je trouve mes amours artistiques les plus forts.

L’une de ces figures est Jay DeFeo, une artiste de la Bay Area de San Francisco, qui est principalement connue pour un énorme tableau qui s’intitule The Rose. Ce tableau a été élaboré entre 1958 et 1966. C’est un tableau unique sur lequel elle a travaillé pendant huit ans. Son but était d’obtenir quelque chose de centré et de symétrique. Il ressemble finalement à une sorte de bas-relief occupant tout un mur de son atelier. Ce tableau a fini par peser une tonne de peinture à l’huile et a eu un destin un peu tragique parce qu’il a été montré une fois à Los Angeles, peu de temps après son extraction de l’atelier, et a ensuite été caché derrière le mur d’une salle de conférence pendant vingt ans. Il s’est détérioré, a été restauré il y a quelques années et a été exposé en 2013 au Whitney Museum de New York. Jay DeFeo est une sorte de pierre de touche pour de nombreux artistes qui connaissent cette œuvre. Elle constitue une sorte d’extrême, un investissement complètement démesuré et très idéaliste aussi. L’artiste a entretenu un rapport au milieu de l’art assez unique en choisissant de ne pas exposer cette œuvre pendant huit ans, alors que tout le monde lui demandait de la montrer. Cette peinture de Jay DeFeo fait l’objet de recherches au sein du l’unité ACTH. C’est un objet qui va peut-être me conduire à aller aux États-Unis pour écrire ou effectuer des recherches dans les archives.

Pascal Simonet
« Enseigner la création par la création », cette expression sonne un peu comme un postulat de tautologie. Pour autant la création, l’art, ne s’enseigne pas. Seules les modalités, les processus de la création peuvent s’enseigner par une approche de l’expérience, par une approche empirique, quasi phénoménologique. C’est donc le « par », cette simple préposition indiquant le moyen par lequel les modalités de la création sont susceptibles d’être transmises, qu’il me semble important de considérer. La création passant par les modalités de la recherche, c’est sur ce terme qu’il faut aussi nous entendre. Le rapprochement intéressant du système universitaire avec les écoles d’art a, de façon bénéfique, renforcé certaines approches théoriques, mais pour autant, le travail de création ne doit pas se réduire à son seul aspect théorique. Nous sommes passés par les vicissitudes des définitions de la recherche. Tantôt recherche « sur » l’art, puis enfin recherche « en » art. Je pense qu’il est temps, à l’instar de cet énoncé de « la création par la création », que nous revendiquions enfin la recherche « par » l’art.

Les ARC (Ateliers de Recherche et Création) mis en place dans nos écoles d’art depuis de nombreuses années offrent cette possibilité de décloisonnement des pratiques artistiques, d’approche pratico-théorique et d’initiation à la recherche « par » la création. En nous appuyant sur cet idéal d’arriver à lier progressivement le geste plastique à la pensée, l’enseignement de l’art passe nécessairement par la valorisation de la perception du monde extérieur et signale en même temps les dangers inhérents à la valorisation de la simple expression individuelle. Cette énergie toute singulière relève d’un processus que l’on pourrait qualifier d’initiatique, au sens d’une expérience personnelle dans laquelle on ne peut dissocier le pensé et le vécu, le conceptuel et l’existentiel. Aménager un espace à l’étudiant lui assurant de se prononcer en fonction de sa propre expérience sur les modalités de vie commune durant des sessions d’ARC de plusieurs jours, est particulièrement intéressant parce que cela produit une remise en question des formes et de la façon de les penser, individuellement et surtout collectivement.

L’émancipation des sujets, l’émancipation des personnes par la création est à considérer, mais je pense par ailleurs, qu’il faut être très vigilant quant à la notion de « libre expression » trop souvent et malencontreusement associée à la création. La « libre expression », c’est ce qui conduit à produire des « créatifs » plutôt que des créateurs. Le « tout créatif » et « tous créatifs » prévalent en effet dangereusement dans le domaine des loisirs comme dans celui de la société aujourd’hui, avec toutes les confusions que cela entraîne. Une école très expérimentale en ses débuts, l’erg (évoquée ce matin par Corinne Diserens dans son intervention), cofondée par Thierry De Duve, a su insuffler une énergie par la création en évitant les dérives dogmatiques et celles de la « libre expression ». En remontant dans l’histoire et toujours sur la question des expériences de création et des ambitions utopiques, j’ai envie d’évoquer pour exemple les enseignements du Black Mountain College avec Cage et Richard Buckminster Fuller, lesquels n’étaient pas si éloignés de cet idéal émancipateur, mais particulièrement vigilants à ne pas tomber dans la self expression. Tout comme Josef Albers, ils invitaient les étudiants à des matter studies : ils les orientaient vers l’observation dont ils pensaient qu’elle seule pouvait complexifier et enrichir leurs perceptions. Fuller leur apprenait à observer la dissociation entre la masse et la résistance, John Cage à observer la texture des sons, Albers à classer les matériaux suivant des actions comme plier, découper, clouer, etc.

Beaucoup plus modestement, dans l’ARC « Processus » que j’ai pu initier dès 2008 à l’Esad Toulon Provence Méditerranée, devenu ensuite « Questions de Morphogenèse », nous invitons les étudiants à observer des phénomènes extrêmement simples, pouvant même relever d’une très grande banalité. Nous proposons aux étudiants, mais également entre nous enseignants artistes ou théoriciens, de les imaginer, de les schématiser, de les représenter puis de confronter ces représentations à l’expérience de la réalité. Cela va des structures des bulles de savon aux formes d’écoulement du sable, aux craquelures de divers matériaux, ou encore au froissement d’une boule de papier et au dessin fractal qui en résulte, en passant par la structure du pop-corn, de simples roches et minéraux… Vous aurez compris que la finalité plastique ou esthétique n’est pas la priorité, mais bien le chemin, le processus pour questionner la forme. L’approche est à la fois ludique et scientifique, mais dans cette recherche-action, nous faisons un pas de côté par rapport à la démarche scientifique en interrogeant notre capacité d’intuition. Quelle forme imagine-t-on avant de mettre en route une mise en situation morphogénétique ? Parmi les modes de représentation, le dessin est certainement le médium le plus propice à l’expres­sion et à la fixation des formes hypothétiques. En effet, les tracés schématiques révèlent les hypothèses implicites, souvent inconscientes de chaque participant de l’atelier. Ils traduisent ses pensées et ses schémas cognitifs. Une lecture collective et comparative des tracés permet de verbaliser et nommer les forces imaginées et exprimées dans les dessins. L’observation de la situation réelle qui suit est fortement aiguisée par ces exercices d’imagination ; la comparaison directe permet de valider ou d’invalider les schémas-modèles.

Il s’agit de susciter une expérience au cours de laquelle l’étudiant s’efforce de comprendre la création d’une situation inédite, d’entrer en relation avec, d’en proposer une représentation qu’il sait être une parmi de nombreuses autres possibles, de capter son identité et d’en former une image qui est à la fois personnelle et surtout partageable, car elle inclut forcément des caractéristiques communes. Pour autant, l’ouverture de l’individu-sujet aux réalités exté­rieures est une approche qui est loin d’aller de soi. Pour John Cage ou Buckminster Fuller, dont l’enseignement était particulièrement pertinent dans la thématique qui nous occupe, l’ouverture demande du courage. Faire bon accueil à la perception qui nous arrive n’est pas aussi naturel qu’il semble.

Tout ce que l’on vient de décrire là est à mon sens éminemment politique, au sens premier de politeia c’est-à-dire de ce qui concerne la structure et le fonctionnement, méthodique, théorique et pratique d’une communauté, d’une société, d’un groupe social. La problématique qui nous intéresse, « enseigner la création par la création » dans les écoles supérieures d’art, relève tout autant de cette question politique. La pratique relationnelle aux formes, que celles-ci relèvent de la morphogenèse urbaine d’une cité ou de tout autre domaine, quelle qu’en soit l’échelle, est une pratique tournée vers l’expérience de soi en étroit lien avec une communauté, un collectif artistique. La pratique plastique est un objet de connaissance, ou chaque étudiant va pouvoir réformer ses pensées, apprendre sur lui-même à travers ce que lui renvoient ses expérimentations mais aussi les propositions plastiques d’une communauté d’interlocuteurs qui vont l’aider à remanier son approche, sa sensibilité.

Pour qu’il y ait expérience de création, il faut donc que le sujet ni ne s’efface devant l’objet ni ne le détruise. Cette condition me semble posséder une dimension éthique plus que jamais sensible et indispensable aujourd’hui.

Bernhard Rüdiger
Il me semble que tu insistes, peut-être un peu en réaction à ce qui a été présenté avant, sur la question de la différence entre créativité et création. Tu la fondes sur la problématique de l’individu, en considérant que le champ de la création n’est pas le champ de l’expression de soi. Il me semble que l’une des choses intéressantes dans la notion même de création, de l’enseignement de la création par la création, est le fait que cette notion est d’ordre téléologique, dans le sens où elle présuppose l’ex nihilo : il n’y a rien, puis il y a quelque chose ; c’est à partir de l’absence de toute chose que quelque chose est créé, alors que la notion de créativité renvoie à la manipulation de quelque chose. On ajuste, on met ensemble, on rassemble, on assemble ; ce que l’on fait dans beaucoup d’autres domaines créatifs. La notion de création présuppose en revanche une remise à zéro, c’est-à-dire un espace qui n’avait pas été occupé auparavant. Cette question est assez complexe si l’on pense à nos institutions parce qu’il s’agit de créer les conditions de l’enseignement de quelque chose qui déplace ce qui précède, qui met en question ce que l’on enseigne. Avez-vous des positions sur cette question ?

Rosa Joly
Pour moi, cela commence avant tout dans l’atelier. Pascal, tu évoquais la nécessité d’aménager un espace à l’étu­diant. Pour moi, ce qui a été très important en Allemagne, c’est que l’école était ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et que justement on ne nous aménageait pas d’espace. C’est-à-dire que c’était à nous d’essayer d’avoir une place dans un atelier, parce que tout le monde n’en a pas – de ce point de vue-là, ce n’est pas démocratique. Mais chacun avait son rythme, pouvait venir la nuit, à n’importe quel moment. Et cela n’est pas anodin au regard des artistes dont j’ai parlé, que ce soit Jay DeFeo, qui finalement a construit une peinture comme façade de son atelier, ou la première peinture de Jutta Koether, pour laquelle elle a loué un appartement. Dans les deux cas, il s’agit avant tout du lieu de l’atelier. Et, en tout cas à Lyon, j’ai vraiment été gênée par le fait que tout espace est aménagé et non pas indéterminé.

Pascal Simonet
C’est pour cela que je pense aussi que ces Ateliers de Recherche et Création, dès lors qu’ils ont une certaine autonomie, permettent une immersion des étudiants en dehors de toute pratique prédéterminée. C’est transversal et cela permet comme tu le disais, Bernhard, de repartir à zéro, sur des choses complètement basiques.

Notes :

[1] John C. Welchman, Mike Kelley : Interviews, Conversations and Chit-Chat (1986-2004), JRP | Ringier, Zurich, Les presses du réel, 2005.

source : demainlecoledart.fr