7 Accompagner les diplômés

David Cascaro
Nous continuons notre forum en abordant maintenant la question du suivi des anciens et de la professionnalisation. C’est l’occasion, avec Vincent Blesbois, artiste et président de l’association/collectif Les Ateliers à Clermont-Ferrand, et Marc Sussi, directeur du Jeune Théâtre National, de voir ce que recouvre cette expression selon qu’on se situe dans le champ du spectacle vivant ou selon qu’on se situe dans le champ de l’art contemporain du côté d’une association d’artistes.

Il me semble qu’il y a un enjeu qu’on n’a pas forcément traité pour l’instant et dont il est souvent question à l’ANdÉA, qui est cette question des critères de suivi de nos diplômés. S’agissant des artistes plasticiens ou des créateurs d’une manière générale, il me semble qu’on n’a pas été encore assez loin dans l’invention de critères pour dire ce qu’est une carrière artistique, qui n’est absolument pas linéaire, faite de ruptures, d’arrêts et de reprise du travail. Que ce soit dans le champ du spectacle vivant comme dans le champ des arts visuels, le fait d’avoir un achat, d’être repéré à un moment donné ne signifie pas forcément que l’artiste va accumuler les succès et acquérir une visibilité. Il est très important que nous soyons mieux armés pour expliquer la construction complexe des carrières artistiques à nos politiques et à nos institutions. Que certains aient la chance de bénéficier d’une commande publique, de rentrer dans une galerie, de rentrer dans une compagnie, de prendre la direction d’un centre chorégraphique ou d’un centre dramatique, c’est une chose mais il y a des secousses, des ruptures.

Vincent Blesbois
Notre structure Les Ateliers est un espace d’atelier, un outil pour les artistes pour qu’ils puissent travailler. Plusieurs artistes et moi-même, issus de l’École supérieure d’art de Clermont Métropole, avons fait le constat que dans nos promotions, la plupart des diplômés quittaient le territoire. Certains ont eu des opportunités ou ont été happés par d’autres villes, par des écosystèmes qui étaient en place. Mais beaucoup sont partis aussi parce qu’ils ne trouvaient pas à Clermont de terreaux favorables à leur pratique. Comme l’a dit David Cascaro, il peut y avoir des arrêts dans la vie d’artiste, des remises en question mais on peut toujours avoir un lien avec d’autres artistes, des groupements d’artistes, des endroits où trouver un contexte, qui permettent, même si on est en arrêt dans son travail ou dans sa réflexion, de continuer à faire partie d’un écosystème qui fonctionne.

Nous étions onze au départ, tous issus de l’école de Clermont et nous avons décidé d’alerter les collectivités sur le manque de lieux. Nous avons pris possession de la halle aux blés, fermée depuis quinze ans, qu’occupait l’ancienne école des beaux-arts, et cela a permis de jeter un pavé dans la mare et de créer un rapport de force. Nous n’étions absolument pas les bienvenus dans cet espace qui appartient au département du Puy-de-Dôme. Finalement, cela a permis de réunir autour d’une table les collectivités, c’est-à-dire la Ville, l’Agglomération, le Conseil général, avec le soutien de l’école d’art en tant que médiateur, notamment sa directrice Muriel Lepage, et d’entamer cette discussion pour obtenir un lieu à Clermont-Ferrand. L’initiative est venue d’un collectif, d’un groupe d’artistes qui s’étaient rapprochés certainement par affinités. Le collectif a bougé entre-temps, mais le noyau s’est fabriqué autour d’un choix fort de rester sur le territoire et de travailler depuis ce territoire. Certains sont partis, certains sont revenus, d’autres nous ont rejoints. Cette association permet de trouver un espace où les choses sont possibles. J’aime assez cette idée de communauté, où la force collective est au service des individualités et réciproquement. Nous avions également fait le constat suivant : l’école d’art de notre territoire nous offre une formation formidable et dispose d’outils fabuleux. Comment ne pas se poser la question de l’après-école, du lien qui est fait et donc de ce que font les jeunes diplômés ? Cette question a tout de suite été incluse dans notre projet, puisque nous réservons un certain nombre d’ateliers aux jeunes diplômés de l’école.

Le fait que nous soyons indépendants dans notre fonctionnement est quelque chose de très important. Il s’agit d’artistes qui œuvrent pour des artistes, qui ont une connaissance des besoins des artistes. Nous mettons en place un réseau, qui a une connaissance des structures voisines et lointaines. Quand on crée des liens par le biais d’artistes en résidence, de nombreuses passerelles se créent et offrent des opportunités aux artistes du collectif. Nous fonctionnons de manière autonome, mais notre lieu est mis à disposition par l’Agglomération et le Département. Cette situation crée à la fois une dépendance et une légitimité. Grâce à cela, nous sommes devenus des interlocuteurs privilégiés des collectivités territoriales qui nous soutiennent et nous participons de cette façon aux politiques culturelles.

Marc Sussi
Le Jeune Théâtre National s’occupe de deux écoles d’art dramatique en accompagnant leurs jeunes diplômés : le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et le Théâtre National de Strasbourg. Le Théâtre National de Strasbourg forme des acteurs, des régisseurs, des costumiers, des scénographes dramaturges et des metteurs en scène. Toutes ces professions sont réunies au Jeune Théâtre National avec les acteurs du conservatoire. Le Jeune Théâtre National se situe à Paris, il a été créé en 1971. Le conservatoire à l’époque était une école qui formait essentiellement pour la Comédie-Française. En mai 68, tous ces concours ont été supprimés et le directeur du conservatoire de l’époque, Pierre-Aimé Touchard, s’est posé la question de savoir quel serait le mode d’insertion des acteurs issus de son école, puisqu’il n’y avait plus de lien privilégié avec la Comédie-Française. Est venue l’idée de créer le Jeune Théâtre National et à l’époque ils se sont associés avec Strasbourg, puisqu’il s’agissait des deux écoles nationales.

Il y a eu différentes formules pour construire la professionnalisation. Au tout début, il s’agissait d’une espèce de troupe qui présentait deux spectacles par an et qui tournait après les spectacles. Aujourd’hui, c’est plutôt sous une forme d’emploi aidé. Si un metteur en scène est en recherche de jeunes acteurs, il peut venir me voir. Si les rôles sont intéressants, il fait passer des auditions et s’il trouve un acteur, c’est nous qui le finançons. Nous remboursons à la production ce que va lui coûter l’acteur pour une durée de trois mois maximum. Voilà pour l’essentiel du dispositif qu’on peut appeler un « emploi aidé ».

Ce système a beaucoup de vertus, d’abord parce que le metteur en scène est obligé de rencontrer tous les acteurs disponibles, il ne peut faire une présélection par casting. Cela signifie que quand on sort de l’école et que c’est un peu le vide pour les acteurs, le Jeune Théâtre National leur envoie un courrier pour chaque audition. Nous soutenons cinquante projets par an, ce qui permet aux jeunes acteurs de rencontrer environ 130-140 metteurs en scène au cours des trois années passées au Jeune Théâtre National, et de se constituer aussi un premier réseau professionnel. Le Jeune Théâtre National n’a pas que cette vertu, puisque nous accompagnons aussi les jeunes metteurs en scène. À l’intérieur des écoles se forment des bandes d’acteurs et des compagnies qui vont essayer de proposer leurs spectacles. Le Jeune Théâtre National est alors très pertinent puisque nous prenons en charge au moins la moitié de la distribution. Tous ces acteurs étant sortis de l’école, ils peuvent bénéficier du Jeune Théâtre National. Nous allons donc pouvoir aider à l’émergence de jeunes compagnies. Par expérience, on sait que pour réussir l’insertion professionnelle de jeunes acteurs, il faut les associer aux jeunes compagnies parce que ce sont celles qui restent les plus fidèles.

Hertz-Fumet, performance sonore et culinaire de Luc Avargues et Johan Bonnefoy, association/collectif Les Ateliers, Clermont-Ferrand

David Cascaro
Quelle est la part des non-comédiens et les dispositifs sont-ils de même nature ? Entre une compagnie, un comédien, un régisseur, un metteur en scène, quels types de services sont portés ?

Marc Sussi
Le dispositif est le même pour l’ensemble des diplômés : on reste sur de l’emploi aidé, c’est-à-dire qu’on va participer au salaire de l’artiste à partir du moment où il est engagé par une compagnie ou un théâtre et que l’on estime que ce contrat est positif pour lui. Les régisseurs, nous les aidons assez peu. L’école de Strasbourg est très réputée pour la formation des régisseurs et, n’étant que six diplômés par an, ils sont très vite intégrés. Les scénographes et les costumiers ne rencontrent pas trop de difficultés non plus. S’agissant des dramaturges et des metteurs en scène, c’est moins évident par nature, mais ils travaillent régulièrement. La difficulté la plus forte qu’on rencontre concerne évidemment les acteurs parce qu’ils sont beaucoup plus nombreux. Sur 120 artistes au Jeune Théâtre National, 90 sont des acteurs ; cela raréfie l’emploi.

Vincent Blesbois
Je souhaitais ajouter deux choses. Si nous essayons de connaître les besoins de notre territoire en termes d’ateliers, et si l’école d’art de Clermont entame aussi une étude sur ses anciens étudiants – ce qui va permettre d’identifier où ils en sont, comment s’est structuré leur parcours, quels sont ceux qui sont restés sur le territoire même si on les connaît – c’est parce que nous sommes là, mais l’objectif n’est pas de rester nécessairement sur notre territoire, entre nous. L’idée est de se tourner vers des structures du même type et de pouvoir faire des échanges, qu’elles soient nationales ou internationales, d’inviter des artistes à séjourner chez nous, qu’il y ait des artistes qui puissent se retrouver dans d’autres structures pour un temps, sans que cela ne soit pensé systématiquement en termes de résidence, mais plutôt en termes de rencontres. D’ailleurs, à l’occasion de la création de la nouvelle Région, nous avons découvert l’Adéra, le réseau des écoles supérieures d’art de Rhône-Alpes Auvergne, qui gère des ateliers pour les diplômés des 5 écoles d’art, dont celle de Clermont désormais, et nous allons commencer par là : nous allons avoir un atelier là-bas à Décines, comme une sorte d’extension de ce qu’on a à Clermont. On est également en relation avec la scène de Porto pour essayer de faire le même genre de lien.

Julia Reth [responsable des relations internationales de la Haute école des arts du Rhin]
Depuis quand les Ateliers existent-ils ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Vincent Blesbois
L’idée de former un collectif d’artistes pour obtenir des ateliers s’est formée en décembre 2012. On a « pris les armes » en janvier 2013 en occupant la halle aux blés, et on a obtenu des ateliers en décembre 2013. C’est une mise à disposition financée par l’Agglomération et le Département du Puy-de-Dôme pour une convention de trois ans qui arrive à échéance en décembre 2016 et qui sera certainement reconduite. Au début, nous étions onze au sein des ateliers ; aujourd’hui nous sommes seize dont quatre ou cinq tout jeunes diplômés de l’an passé. Le lien avec l’école était officieux au départ, c’est-à-dire que nous nous sommes rendu des services, l’école beaucoup plus que nous ! Nous avons utilisé les ateliers de l’école ou d’autres outils pour la réalisation de certaines pièces. De notre côté, nous avons par exemple accueilli le passage de diplôme d’une étudiante. Nous nous trouvons à la périphérie de la ville, à dix minutes de bus du centre-ville et à quinze minutes à vélo. Au début, cela nous apparaissait comme une contrainte, et finalement c’est un avantage. L’ambiance, le contexte de périphérie est extrêmement favorable à une sorte d’atmosphère et d’épaisseur pour le travail ; c’est ce que je ressens et ce que certains partagent.

Vue d'atelier, association/collectif Les Ateliers, Clermont-Ferrand

Laurent Moszkowicz [membre du conseil d’administration de la Fédération des réseaux et associations d’artistes plasticiens (Fraap)]
Pour un artiste, surtout en début de carrière, c’est la notion de réseau qui est fondamentale. Souvent les premiers réseaux sont ceux de l’école, c’est là que l’information circule. Je pense que les écoles ont peut-être un rôle à jouer pour faire remonter les besoins qui sont là, puisque les besoins en espace de travail on les retrouve un peu partout. Les écoles pourraient permettre la rencontre entre les jeunes artistes et les décideurs afin de trouver des espaces pour installer des ateliers. Les collectivités ont des patrimoines immobiliers importants, certains espaces sont libres parfois pendant deux, dix ou quinze ans, et pourraient être mis à disposition sous convention à des artistes. L’État a sans doute aussi des casernes inoccupées. Je pense que ce lien pourrait se faire par le biais de l’école, acteur institutionnel qui peut aisément parler aux collectivités publiques.

Odile Le Borgne [directrice du site de Rennes de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne]
J’ai été conseillère aux arts plastiques à la Ville de Rennes pendant longtemps et les dispositifs d’ateliers, de bourses pour les artistes, d’achats d’œuvres existaient. J’aimais bien cumuler les trois pour produire un effet levier. Étant désormais dans une école d’art, je pense que ce qui est important c’est de constituer une scène artistique, parce qu’on a besoin de réseaux, d’espaces, de capacité de produire mais aussi de capacité à débattre. Dès lors, il faut inciter les collectivités à aider les associations. Je pense que les écoles d’art doivent convaincre les élus de l’importance de l’existence d’une scène artistique.

source : demainlecoledart.fr