4 Valoriser les initiatives étudiantes

Danièle Yvergniaux
Il s’agit dans cette séquence de parler des initiatives des étudiants dans nos établissements. Comment peuvent-ils être acteurs de leur établissement, proposer des projets, mettre en place des actions structurantes ? Nous avons invité Antoine Aubinais, architecte, co-fondateur et responsable de l’international de l’association Bellastock, et Rémi Dufay, diplômé de l’École supérieure d’arts et médias Caen/Cherbourg, ex-président de l’association des étudiants de l’ésam et chef de projet de la 4e édition du festival étudiant Court-Circuit, actuellement étudiant à la Haute école d’art et de design de Genève.

Antoine Aubinais
Je vais vous présenter comment l’association Bellastock est née au sein de l’École nationale d’architecture de Paris-Belleville, qui nous soutient depuis maintenant dix ans, quels moyens l’école a mis à notre service et quel retour nous avons pu lui offrir, au travers des projets que nous avons montés au cours de ces dix années. Nous avons créé Bellastock d’abord pour pallier un manque dans nos études, l’absence de confrontation avec la matière, alors que l’architecte est « prescripteur de matériaux ». En effet, nous n’avions aucune pratique et ne touchions jamais à la matière, ce qui est surprenant pour des étudiants en architecture : faire de la théorie et du dessin et ne jamais se confronter réellement aux matériaux… À partir de là, nous avons monté un exercice assez simple : l’idée était de réaliser la conception et la construction d’un bâti et de vivre dans sa construction pendant quatre jours. Au départ, il y avait une centaine de participants. Ensuite, nous avons choisi d’étudier un sujet différent chaque année. Ces événements rassemblent aujourd’hui près d’un millier de jeunes architectes, avec cette idée que tous les matériaux utilisés pendant les quatre jours sont ensuite restitués dans leurs cycles normaux.

Au début, l’association a été subventionnée par l’École de Paris-Belleville. Nous avons également eu de l’aide à la structuration, c’est-à-dire pour tout ce qui était documents administratifs, gestion de nos budgets ; nous avions la possibilité de demander à notre administration de nous aider, ce qui a été un plus. L’administration nous a poussés aussi à aller voir les autres écoles d’architecture, au départ au niveau francilien, pour qu’elles puissent devenir partenaires de ces projets. Les mille jeunes architectes qui sont réunis chaque année sont ainsi issus des différentes écoles d’architecture. Un grand nombre d’écoles d’architecture sont partenaires. J’en profite pour dire que nous essayons également de développer des partenariats avec les écoles d’art. L’école nous a donc aidés à nous structurer et nous a mis en contact avec le ministère de la Culture, qui soutient nos projets aujourd’hui.

Quel avantage et quel retour a-t-on pu offrir à notre école par le biais de ces projets ? Pour monter un exercice comme celui-ci, nous avons dû mettre en place un réseau de partenariats assez variés : partenaires territoriaux, partenaires industriels (lorsqu’on a travaillé sur l’architecture et l’eau, un partenaire industriel nous a fourni des flotteurs par exemple), partenaires pédagogiques (toutes les écoles qui ont participé). Tout ce réseau intéresse les personnes qui aujourd’hui enseignent à Belleville ; elles viennent nous demander conseil sur la façon dont on a monté ces partenariats, pour bénéficier de la mise à disposition de matériaux par exemple.

Depuis 2012, l’école de Paris-Belleville nous a aussi mis à disposition des bureaux, ce qui implique un accès à Internet, à un service reprographie, à la téléphonie, etc. Cela nous a permis de lancer un programme de recherche sur le réemploi dans la construction. C’est tout nouveau, c’est un projet que nous avons mené au nord de Paris où se trouvent les hangars de Printemps : 60 000 mètres carrés de hangars industriels que nous avons décortiqués, diagnostiqués, analysés pour voir ensuite comment nous allions récupérer les matériaux afin de les injecter dans un éco-quartier qui allait être construit à la place de ces hangars. S’agissant des poutres du hangar par exemple, nous avons regardé quel pourcentage nous allions pouvoir récupérer, quelles machines allaient être employées, et finalement nous les avons utilisées pour fabriquer les voies du parc de l’éco-quartier.

Tous ces sujets sont des sujets assez actuels, qui ne sont pas encore suffisamment abordés dans les écoles d’architecture. L’école nous utilise aussi un peu comme un petit laboratoire. C’est pour cela je pense que nous bénéficions de ce soutien qui est reconduit chaque année par l’école. Nous allons défricher de nouvelles thématiques, et bien évidemment tout le savoir que nous allons générer, nous le rendons accessible aux professeurs de l’école. Il y a de plus en plus de professeurs qui s’intéressent au réemploi, pour des questions d’épuisement des ressources notamment. Ils peuvent passer dans nos bureaux pour qu’on leur donne accès à tout ce qu’on a généré.

La bonne surprise de ces dix ans d’expérience est d’avoir pu développer des échanges d’étudiants au niveau inter­national. Quand ils repartent dans leur pays après avoir participé à un ou deux événements en France avec nous, ils décident de développer Bellastock chez eux. Nous sommes ainsi en train de développer petit à petit un réseau de jeunes architectes issus de différents pays, où l’on échange des données sur des questions telles que l’organisation de chantiers collectifs, les cycles de la matière, les ressources en général, les techniques traditionnelles de construction, le réemploi et le détournement. Cela représente aussi un plus pour l’école, car cela lui permet d’avoir un rayonnement plus large. À chaque fois que nous sommes diffusés à travers nos actions, nous sommes directement liés à Paris-Belleville, donc c’est intéressant pour elle. Il y a même des pays qui n’ont pas d’échanges avec nos écoles et avec lesquels nous avons commencé à développer un partenariat. Nous servons donc aussi de passerelle et nous essayons de voir comment générer des interactions avec notre école. Le fait d’avoir valorisé notre initiative au départ a été un pari pour l’école. Cela nous a permis de nous former sur le terrain ; il est très intéressant d’apprendre par le faire. En retour, l’école peut compter sur nous pour aller défricher de nouveaux sujets et alimenter comme nous le pouvons les discussions pédagogiques de l’établissement.

Bellastock, Actlab, base vie, architecture expérimentale, 2015

Rémi Dufay
Pour commencer, je répondrai d’abord à la question que certains et certaines d’entre vous peuvent se poser, à savoir pourquoi avoir inscrit ce thème des initiatives étudiantes dans un forum qui s’intitule « L’enseignement supérieur artistique : une structuration spécifique ». Ce sont les étudiants qui en ont eu l’idée. Si l’on a fait ce choix, c’est parce que nous pensons que le sujet des initiatives étudiantes est directement lié aux problématiques économiques et territoriales qu’aborde ce forum. Nous sommes persuadés que ces initiatives apportent des éléments de réponse non négligeables aux questionnements sur la posture et la structuration des écoles, tout en étant en harmonie avec la pédagogie spécifique de ces formations.

Je procéderai en deux étapes. Tout d’abord pourquoi favoriser ces initiatives ? Qu’est-ce que cela apporte aux écoles, aux étudiants, au personnel et même à l’extérieur des établissements ? Puis, comment favoriser ces initiatives, avec quels outils, quels investissements ? J’ai préparé cette intervention avec Victor Hamonic, étudiant à l’école d’art de Bretagne.

Pourquoi ?

Favoriser les initiatives étudiantes, pour améliorer la vie dans l’école, tisser des liens entre ses différents membres. La première chose à laquelle on peut penser lorsqu’on parle d’initiatives étudiantes dans une école d’art, c’est peut-être la question de la convivialité, de la vie à l’intérieur de l’école. Les écoles d’art sont un microcosme intéressant dans le sens où elles réunissent toutes sortes de personnes aux statuts différents, qui travaillent autour d’un même projet, mais qui ne sont pas forcément amenées à se rencontrer. Les initiatives étudiantes peuvent ainsi prendre la forme de soirées, de repas, comme à Caen avec l’initiative Chez Francky qui propose des déjeuners, des temps d’échange et de détente où les étudiants et le personnel peuvent se rencontrer.

Favoriser les initiatives étudiantes, pour développer une économie parallèle profitable aux étudiants, au personnel et à l’école, par la création de points de vente ou de points d’échanges de matériaux, d’outils et de nourriture non cuisinée, comme ici à Lyon avec la Récupérathèque, qui réemploie des matériaux pour les vendre ou les troquer à des étudiants.

Favoriser les initiatives étudiantes, pour promouvoir l’école sur son territoire, permettre une ouverture, une meilleure compréhension de la part des acteurs locaux et des habitants. Ce troisième type d’initiative est la création d’événements, de manifestations, de propositions ouvertes au grand public. Par l’action des étudiants à l’intérieur ou à l’extérieur des murs de l’école, celle-ci gagne en visibilité pour un public extérieur, les habitants du territoire ou les personnalités politiques des collectivités territoriales.

C’est peut-être de moins en moins vrai, mais les étudiants habitent souvent le territoire avant d’intégrer l’école qui y est implantée. Ils apportent avec eux un réseau qui leur permet d’accéder à des choses sur lesquelles l’école n’a pas d’emprise, voire pas de connaissances. C’est d’ailleurs je pense la grande force des associations étudiantes qui, de par leur statut juridique, ont une flexibilité et un champ d’action qui leur donne beau­coup plus de liberté que les mastodontes que sont les écoles.

Toutes ces propositions sont intéressantes et ambitieuses, comme à Clermont-Ferrand où l’association la Balise crée des ateliers qu’elle mène, par exemple, avec des enfants de la ville. Ou encore une autre proposition dont j’ai été le curateur à l’ésam de Caen/Cherbourg, Court-Circuit, un festival qui donne la possibilité aux étudiants de l’école d’investir une quinzaine de lieux de Caen par des travaux in situ. On a investi par exemple le centre pénitentiaire, le journal du coin, l’artothèque, le centre de refuge pour SDF, la radio locale, la piscine et bien d’autres. Nous avons aussi créé une Nuit Blanche qui, à la différence du reste du festival, mêlait les travaux d’étudiants à ceux d’artistes locaux, associant aussi des compagnies de théâtre, des danseurs, des musiciens. La volonté était d’intégrer les œuvres, les installations et les performances dans un parcours festif, en l’occurrence un parcours entre quatre lieux alternatifs très différents les uns des autres, reliés par le petit train touristique de 17 h à 4 h du matin. Tout cela a été un gros succès dans le sens où la Nuit Blanche a réuni plus de huit cents personnes, de tous milieux et de tout âge, et qu’elle a été assez suivie par la presse.

Ce festival, ces propositions, sont l’occasion pour les étudiants de se confronter à un public « réel », un public autre que celui des professeurs et des étudiants, mais aussi l’occasion pour les habitants de la ville de découvrir des pratiques qu’ils n’auraient pas forcément découvertes sinon, et de pénétrer dans des lieux dans lesquels ils reviendront peut-être. C’est aussi le moyen pour eux de comprendre ce qui se passe dans cette école d’art qui, dans notre cas à Caen, est assez excentrée. Et que cette visibilité sur le territoire résulte d’une action étudiante et non de l’école en tant que telle fait aussi une différence. Cela ne véhicule pas les mêmes significations, n’a pas le même poids face aux receveurs, aux habitants ou aux politiques. Il est important que ces initiatives ne relèvent pas d’une commande et n’entrent pas dans le cursus, mais soient portées par les étudiants qui en assument l’entière responsabilité. C’est formateur : seule cette volonté permet de surmonter les difficultés sociales, administratives ou d’investissement, mais surtout de positionnement, qui se posent dans pareils projets. C’est de plus l’occasion de se confronter à une certaine réalité du monde de l’art et d’interroger les modalités mêmes de nos études, ce qui m’amène à mon prochain point.

Favoriser les initiatives étudiantes, pour former l’étudiant à porter un regard critique sur les modalités de ses études, sur le contexte de son enseignement.

On le sait, les écoles d’art sont en plein bouleversement, entre les réformes, le poids des politiques territoriales, les intérêts européens : c’est entre autres pour cela que nous sommes réunis aujourd’hui. Ce bouleversement implique un certain nombre de changements qui sont décidés par un mélange complexe de personnes dites administratives, de politiques, de professeurs, d’artistes et autres. De ces débats, les étudiants sont encore trop souvent, sans doute, mis à l’écart. En tout cas, ils y prennent trop rarement part alors qu’ils sont au centre des préoccupations. Pour ma part, je vois deux raisons de les y intégrer. Tout d’abord, ils ont leur mot à dire et, par leur position d’étudiant en école d’art, ils sont en mesure de comprendre l’essentiel des débats. Je salue d’ailleurs l’ANdÉA qui a eu la très bonne initiative de nous intégrer à l’organisation de ces assises. Une deuxième raison, encore plus importante, est que les écoles d’art forment des artistes, à savoir des personnes qui s’interrogent, qui produisent par rapport au contexte dans lequel ils se trouvent. L’école d’art est l’un des premiers contextes du jeune artiste et il apparaît absolument nécessaire, pour son apprentissage, que le jeune artiste, l’étudiant, puisse s’interroger sur les modalités de sa propre formation et appréhender son fonctionnement. Les initiatives directement réflexives sur ces sujets peuvent prendre plusieurs formes, par exemple la création d’une pédagogie parallèle à celle proposée par l’école, comme à Lorient avec le workshop de réalisation de courts métrages Cut, ou à Caen avec le Pôle Extérieur, qui propose conférences, ateliers, invitations à des artistes par une programmation étudiante. Ces initiatives peuvent être aussi très directement liées à une situation problématique ou périlleuse dans une école. Je pense à l’école de nuit de Bordeaux ou au comité d’occupation de l’école d’art de Perpignan.

Favoriser les initiatives étudiantes, pour que les écoles restent pertinentes par le renouvellement constant qu’apportent les actions des étudiants. Les étudiants restent peu de temps dans l’école ; il s’agit d’un public en constant mouvement. Le fait que les écoles puissent s’ouvrir aux changements induits par ce flux permanent est une garantie pour elles de rester les plus pertinentes possibles, au plus proche des problématiques de la société dans laquelle elles s’ancrent.

Comment favoriser les initiatives étudiantes ?

Favoriser les initiatives étudiantes en accompagnant activement la création et le fonctionnement des associations étudiantes, par des financements et la mise à disposition de locaux notamment, mais aussi en relayant les informations, en en faisant la promotion s’il y a lieu. Sur ce point, nous avons créé un Tumblr – Nous sommes étudiant-es en art – qui recense les initiatives et bureaux étudiants des écoles supérieures d’art de France. Vous pouvez en communiquer l’adresse à vos écoles. Ce Tumblr est un outil pour aider les étudiants qui voudraient lancer leurs propres initiatives.

Favoriser les initiatives étudiantes en proposant davantage d’enseignements liés aux questions de société, de politique, d’économie afin de provoquer chez l’étudiant un questionnement sur son propre contexte. Je pense en effet que c’est aussi le rôle des écoles de faire émerger ces initiatives. Je sais que très souvent les étudiants ont du mal à s’impliquer, ne sont pas forcément intéressés par la participation à toutes ces instances et associations, à tout ce qui constitue le fonctionnement de l’école. Il faudrait donc que les écoles sachent provoquer chez les étudiants ces questionnements, en les informant mieux, en proposant des explications de tous ces termes nébuleux et acronymes qui régissent nos établissements, en les impliquant davantage dans les décisions, en leur exposant les grands enjeux… mais aussi en proposant plus de cours et de séminaires sur l’actualité, la politique, l’économie. L’école d’art doit être un terrain, un cadre que l’étudiant peut dépasser pour développer sa propre pratique et sa propre position. Elle doit être assez bienveillante pour accompagner ces initiatives sans se les approprier, sans directement les mettre en place, sinon celles-ci retomberaient dans le scolaire, dans le cursus et la notation et perdraient de leur pertinence. Qu’on me donne un cadre et en même temps les outils pour m’en émanciper, c’est pour ma part ce que j’attends d’une école d’art.

Le Style, point-info de la 4e édition du festival étudiant Court-Circuit organisé par l’association des étudiants de l’ésam, Caen

Julia Reth [responsable des relations internationales de la Haute école des arts du Rhin] Ces initiatives que tu as pu lancer lors de tes études, est-ce qu’il s’agissait de one shot ou est-ce que, étant donné que cela a bien fonctionné, le projet s’est institutionnalisé, dans le sens où ce serait devenu un rendez-vous que les étudiants peuvent réinventer chaque année ?

D’autre part, j’entends ce que tu dis sur l’implication des étudiants. À la Hear, et je pense que c’est le cas dans d’autres écoles, nous avons un réel souci démocratique et d’engagement politique des étudiants. Les élections des délégués ne sont pas suivies et le rôle des délégués n’est pas valorisé. Parfois, aucun étudiant ne se présente. Comment vois-tu cela et comment as-tu pu, pendant ta scolarité, réagir à ce genre de comportement des étudiants ?

Rémi Dufay
Le festival Court-Circuit dont j’ai parlé existait quatre ans avant que je m’en occupe. C’est vraiment la force de ce festival de se réinventer à chaque fois avec une équipe différente, et comme je le disais ce renouvellement continuel permet aux écoles de rester pertinentes. L’équipe qui l’a créé a été tentée de le garder et de l’emmener en dehors de l’école, mais elle a finalement choisi de le laisser à l’école pour qu’il soit justement traversé par différentes problématiques, différents esprits, qui du coup le font évoluer. Les choses qui ont été créées quand j’étais à l’ésam continuent d’exister, sauf la Nuit blanche, parce que nous étions dix-huit dans l’équipe d’organisation et que c’est un projet important. Mais nous espérons qu’elle voie à nouveau le jour.

Pour répondre à la deuxième question, même à Caen en effet, où il existe toutes ces initiatives, nous rencontrons encore ces problèmes de mobilisation des étudiants et je pense vraiment que c’est aussi à l’école de favoriser cela. Beaucoup d’étudiants ne connaissent pas l’ANdÉA par exemple et l’utilisation de tous ces acronymes, CRPVE, ComUE…, rebute énormément. Nous avions commencé à faire un dictionnaire pour recenser tous ces termes, parce que, lorsqu’on ne maîtrise pas le vocabulaire, il est difficile de s’impliquer.

Hervé Alexandre
L’un comme l’autre, vous avez parlé d’une école dans l’école, de pédagogie parallèle, de l’intérêt des enseignants de Paris-Belleville pour ce que vous faisiez. Concrètement aujourd’hui, comment ces initiatives sont-elles reçues et comment cela impacte-t-il la proposition pédagogique de chacune de vos deux écoles, l’ésam et l’Ensa Paris-Belleville ? Qu’est-ce que cela change ?

Rémi Dufay
Dans notre cas, nous avons toujours essayé de garder une certaine distance avec la pédagogie de l’école en tant qu’école. On nous a proposé à plusieurs reprises des crédits pour nos initiatives, mais nous souhaitions que ces initiatives ne soient pas concernées par une question de crédits. Ce qui nous paraissait intéressant, c’était d’avoir une proposition qui soit juste due à notre volonté. Je n’ai pas l’impression que cela ait beaucoup impacté les propositions pédagogiques de l’école. C’est quelque chose qui est resté assez parallèle.

Antoine Aubinais
En ce qui nous concerne, cela impacte beaucoup l’école. Les professeurs sont partagés : 50 % d’entre eux apprécient ce que nous faisons et 50 % ne comprennent pas pourquoi l’école nous donne autant de moyens. Mais les proportions sont en train de changer. Quand ce n’était qu’un festival d’architecture, c’était intéressant parce que les étudiants mettaient la main à la pâte, mais le côté festif pouvait parfois faire peur au corps enseignant. Heureusement, depuis trois ans, nous nous intéressons à la question du réemploi des matériaux. Nous avons des partenaires sur ce projet qui comptent sur nous, d’autant qu’il n’y a pas beaucoup d’équipes d’architectes qui travaillent sur ces questions aujourd’hui en France. Il commence donc à y avoir de l’intérêt dans l’école pour nos activités. Les professeurs viennent de plus en plus dans notre bureau par exemple parce qu’ils vont faire un cours sur le réemploi et souhaitent obtenir le rapport que nous avons rendu à l’Adème (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie). Il peut s’agir par exemple d’un professeur qui va faire des interventions dans les camps Rom à Paris et qui nous demande si nous avons des gisements potentiels. Nous sommes aussi en effet en train de créer un réseau avec les déconstructeurs à Paris. Ils nous informent des chantiers en cours et des matériaux que nous pouvons récupérer. Nous essayons de les mettre en lien avec des exutoires, des agences d’architecture qui pourraient réutiliser la matière dans leurs projets. C’est encore difficile à mettre en place, mais nous avons de plus en plus de gisements potentiels et de professeurs qui viennent nous solliciter.

#TeslaCoil, Fréderic Deslias / Le Clair Obscur, Style DIWO © Rémi Dufay

Rémi Dufay
Concernant les obstacles, je pense aussi que le fait de devoir suivre les cours, obtenir les crédits, être pleine­ment investi dans le travail de l’école, n’est pas toujours compatible avec cet investissement associatif, il faut le reconnaître ; c’est aussi une des raisons qui font que les étudiants ne s’investissent pas davantage. Mais pour moi cela fait partie d’une école d’art de faire autre chose que ce qui est proposé, que les cours, que ce qui rapporte des crédits. C’est juste un apprentissage de l’aspect un peu schizophrénique de l’artiste qui va devoir faire un peu tout en même temps et essayer de composer sa pratique avec des choses totalement différentes et qui sont parfois sur les mêmes plages horaires.

source : demainlecoledart.fr