1 Les formes institutionnelles de l’école d’art :
l’EPCC confronté à d’autres modèles

Danièle Yvergniaux
Ce forum va aborder les questions juridiques, administratives, économiques en ce qui concerne les écoles supé­rieures d’art. Nous essaierons de faire en sorte que ces sujets ardus deviennent des sujets passionnants et que nous puissions commencer à imaginer, à partir des cadres qui nous sont donnés, des fonctionnements qui soient les plus adaptés à nos écoles, à notre enseignement, aux missions essentielles des écoles d’art. Cette première séquence posera le cadre juridique de nos établissements avec une présentation de l’EPCC dans sa réalité, dans sa complexité, par Hervé Alexandre. Jean-Michel Le Pimpec, directeur général des services de l’Université Bretagne Sud, présentera en contrepoint le cadre juridique de l’université, ses différences et ses convergences avec celui des écoles d’art.

Hervé Alexandre
D’où viennent les EPCC ? Les EPCC sont issus d’une expérimentation qui avait été portée par le ministère de la Culture dans les années 2000 : les protocoles de décen­tralisation ont permis d’expérimenter des formes souples d’où est issue l’écriture des statuts des EPCC en 2002, statuts remodelés en 2008.

Qu’est-ce que cela offrait ?

Ce qui est au cœur de l’EPCC, c’est le projet : on se réunit autour d’un objet qui prédétermine toute la structuration de l’établissement. Il y avait une volonté d’avoir un statut juridique pérenne, des statuts publics avec des contributeurs engagés solidairement. Être contributeur d’un EPCC pour une collectivité, c’est être engagé exactement comme la collectivité est engagée vis-à-vis de ses propres actions, de ses propres compétences et de son propre personnel. L’EPCC est un espace de coopération autour d’un porteur de projet, la directrice ou le directeur étant la personne centrale qui rassemble autour d’elle l’ensemble des compétences, des missions et des capacités d’actions qu’aucune autre structure et aucun poste n’offre aujourd’hui en tant que tel. L’EPCC est un espace d’accueil de nouveaux contributeurs, ce qui est très commode : au fil du développement du projet, d’autres collectivités peuvent venir s’y adjoindre, ce qui à la fois assure une pérennité, mais aussi une souplesse et une capacité de développement. Enfin, l’EPCC permet aussi, et on l’a vu pour nos écoles, de donner une lisibilité à son objet, indépendamment des collectivités et de l’État qui peuvent y contribuer.

La gouvernance

On est sur une articulation entre un conseil d’admi­nistration, un président et un directeur. Les prérogatives historiques du maire, du président et du directeur général des services de la collectivité, on les retrouve en fait majoritairement dans l’escarcelle du directeur. Il est ordonnateur, il est responsable devant un certain nombre d’instances, il engage donc des dépenses tout à fait librement ; il est recruté pour son projet et il a un mandat et toute latitude pour l’exécuter. N’oublions pas que dans un conseil muni­cipal par exemple, le maire exécute les décisions qui sont prises en conseil ; le directeur a une latitude beaucoup plus grande dans un EPCC, bien qu’il n’ait pas été élu mais nommé pour cela. Dans les modalités de recrutement du directeur, ce qui prévaut est le projet et l’orientation déployée. Dernière forme tout à fait singulière : le directeur a un mandat théoriquement limité dans le temps. L’EPCC a en effet été créé avec cette philosophie : étant donné que le directeur est recruté pour porter un projet, il ne faut pas qu’on reproduise l’institutionnalisation de fonctionnaires à vie. Le recrutement des directeurs relève d’un processus dérogatoire : ce sont des contractuels qui, en théorie, peuvent être reconduits éternellement en contrat à durée déterminée alors que, dans la fonction publique territoriale, au bout de six ans, quand vous êtes en contrat déterminé, vous passez en contrat indéterminé. On est donc sur un ensemble d’exceptions qui rendent la chose tout à fait singulière et pas forcément évidente à appréhender.

Le président a une prérogative sur le personnel permanent. Ce duo président-directeur est tout à fait essentiel dans la gouvernance, mais celui qui a le manche, c’est le directeur une fois qu’il a été recruté. Quant au conseil d’administration, sa composition est la traduction des volontés de coopération autour du projet. C’est aujourd’hui un outil assez plastique. En fonction de la nature des EPCC et de leur activité, on peut y voir un certain nombre de modes de représentation avec quelque chose de singulier, qui est la représentation des personnels au sein d’un conseil d’administration qui est une instance qui vote par exemple le budget des établissements. On ne voit pas les représentants des personnels voter en conseil municipal le budget de la Ville. Au niveau de la gouvernance, il y a des règles qui font que, par exemple, alors qu’il fait partie du conseil d’administration, un représentant étudiant ou un représentant enseignant ne peut pas être élu président, parce qu’il se retrouverait dans une position où il serait juge et partie, puisqu’il se recruterait lui-même ou prendrait des décisions dans une collectivité qui le concernerait lui-même en tant qu’étudiant ou enseignant.

Il y avait d’autres régimes possibles pour la structuration juridique des écoles d’art afin qu’elles deviennent des établissements autonomes en quittant les régies directes : des associations, des groupements d’intérêt public, des régies personnalisées (opéras), des SARL (centres dramatiques).

Pourquoi ce choix des EPCC pour nos écoles supérieures d’art ? D’abord parce que c’était un outil présent en magasin qui présentait quelques capacités :

  • un espace adapté aux collaborations territoriales, puisqu’il y avait une volonté de regrouper les écoles ;
  • une place possible de l’État, car dans certaines formes de regroupement, l’État ne peut pas être présent au sein du conseil d’administration ;
  • la possibilité de conserver des missions de service public, de rester dans le champ des collectivités territoriales au sens large ;
  • la possibilité de conserver des personnels de la fonction publique territoriale avec leurs statuts.

On peut comprendre pourquoi en 2010-2011 cet outil a été choisi. Seulement a été oublié le préalable à l’EPCC, qui est la volonté de coopérer…

Paradoxes et tensions

En conclusion sur ces aspects de fonctionnement, je dirais que nous avons aujourd’hui des paradoxes et des tensions du fait de ce que j’évoquais de l’histoire et des structurations. Ces EPCC sont tombés d’en haut, pour les écoles d’art, le haut étant l’État, comme une injonction. De ce fait, il y a une opposition entre cette planification verticale et la coopération horizontale qui constitue la définition même de ces établissements. Il y a des tensions entre la norme posée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère de la Culture – la forme juridique a été choisie pour permettre l’autonomie des établissements et la délivrance des diplômes –, l’histoire de ces établissements qui sont extrêmement territoriaux, et enfin des normes extraterritoriales issues de l’Europe, du processus de Bologne, du LMD, voire d’autres contraintes économiques. Des tensions entre des légitimités artistiques et des légitimités universitaires, des tensions entre des légitimités issues des labellisations ministérielles et celles issues des gouvernements locaux. En fait, l’opposition entre secteur des arts plastiques et territoire.

Réaménagement du lieu central de l’ésam Caen par les étudiants, pôle extérieur de l’association des étudiants de l’ésam

Jean-Michel Le Pimpec
J’ai cru comprendre qu’il s’agissait de voir si une université pouvait accueillir une école d’art, d’où ma question : est-ce que les écoles d’art sont solubles dans l’université ? Je vais vous donner quelques éléments en vous parlant de la gouvernance des universités, des finances et des ressources humaines, des liens entre les composantes et l’université.

L’organisation des universités

Dans une université, on trouve deux instances : le conseil d’administration et le conseil académique qui comprend la commission de la recherche et la commission de la formation et de la vie universitaire. Ces deux instances sont celles dans lesquelles sont prises des décisions collégiales. Pour les mettre en œuvre, il y a un président, des vice-présidents, des chargés de mission. À l’intérieur de l’université, on va trouver des composantes, avec des services communs entre ces composantes : les unités de formation et de recherche (facultés), les écoles, les instituts (IUT, IEP, IAG), les laboratoires. Dans tous les organigrammes des universités, cela se traduit par quatre blocs : la présidence, avec des services rattachés (agent comptable par exemple), les composantes de formation, les composantes de recherche, les services. Ce qui est intéressant dans l’université, ce sont surtout les liens et la manière dont les choses se passent entre les quatre blocs.

La gouvernance

Le conseil d’administration vote le budget, approuve le compte financier, autorise en cours d’année le président à passer des contrats, approuve ou désapprouve des orientations. C’est le lieu où se passe la discussion. Dans ce conseil d’administration, il y a des universitaires, mais également des personnalités extérieures, des usagers, des représentants des enseignants et des enseignants-chercheurs. Les enseignants et enseignants-chercheurs sont représentés dans deux collèges : le collège A qui est celui des professeurs d’université ou assimilés et le collège B qui est celui des autres enseignants et enseignants-chercheurs. Il y a bien une différence entre ceux qui sont au rang de professeur et les autres.

Le conseil académique est une nouveauté de la loi Fioraso de 2013 ; il est formé par le regroupement de deux commissions : la commission de la recherche et la commission de la formation et de la vie universitaire. On va débattre de la recherche à l’intérieur de la commission de recherche, tout ce qui touche à la vie des laboratoires, au financement de la recherche, à l’organisation des écoles doctorales. Dans la commission de la formation et de la vie universitaire, on va plutôt discuter des programmes de formation, des ouvertures et des fermetures de formations, du contrôle des connaissances, de la vie étudiante, travailler sur tout ce que les étudiants et les enseignants peuvent demander qui ont un lien avec la formation ou la vie au quotidien des campus. Les membres sont les enseignants et les enseignants-chercheurs avec toujours la même différence entre les enseignants du collège A et les enseignants du collège B, des usagers, des personnalités extérieures.

Le président est élu par le conseil d’administration. Il s’agit donc d’une élection au second degré, puisqu’il n’est pas élu par toute la communauté. Il y a trois vice-présidents statutaires, en charge du conseil d’administration, en charge de la commission de la recherche, en charge de la commission de la formation et de la vie universitaire. Ce sont les quatre personnes, président et vice-présidents obligatoires, que l’on retrouve systématiquement. Ensuite on peut avoir autant de vice-présidents et de chargés de mission que l’on souhaite (aux relations internationales, aux relations avec les entreprises, à la vie universitaire, etc.). Un conseil, un directeur, deux composantes, c’est une obligation depuis la loi de 2013. Les directeurs d’UFR, de laboratoires et d’instituts ont un conseil particulier, présidé par le président de l’université, dans lequel ils doivent se retrouver au moins deux fois par an. Il y a aussi un bureau et une équipe de direction. Et enfin, dans les composantes, des conseils qui sont des conseils particuliers, composantes d’UFR, d’IUT, d’écoles.

Les finances

Pour faire fonctionner tout cela, il faut des ressources : 80 à 95 % sont des subventions de l’État. Viennent ensuite les ressources propres : résultat de la collecte de la taxe d’apprentissage, mais c’est aussi et surtout la formation continue, les diplômes d’université (D.U.) et les contrats de recherche qui sont les éléments qui permettent de fonctionner au quotidien. S’agissant de l’emploi de ces finances, la masse salariale représente environ 80 % des dépenses – en fait, cela oscille entre 75 et 82 %, les universités qui attei­gnent 83 % du budget ont du mal à fonctionner au quotidien. Les autres dépenses qui vont être assurées en centrale par les services dont je parlais tout à l’heure sont celles qui sont nécessaires à la viabilisation (eau, électricité, chauffage), les charges communes, les travaux, l’entretien des bâtiments, etc. Enfin, il y a une dotation aux composantes pour leur fonctionnement. Ainsi, si l’on regarde du point de vue de la composante, qui peut être une faculté ou un institut, on a la dotation de l’université qui est sa principale ressource, mais aussi des ressources propres, selon qu’elle a vendu de la formation dans un D.U. ou de la formation continue, selon qu’elle a été chercher des contrats de recherche, selon qu’elle a pu faire de la collecte de la taxe d’apprentissage. Avec ces ressources, elle va payer en ressources propres le personnel qui est recruté essentiellement sur contrat et elle va faire ses propres dépenses de fonctionnement.

Du point de vue des ressources humaines, c’est l’État qui fixe le tableau des emplois. En effet, au moment du passage à l’autonomie des universités, il y a eu une discussion avec l’État qui a fixé un nombre d’emplois qui normalement ne peut pas varier. On peut avoir des contractuels, à savoir des gens payés sur ressources propres ; il y en a beaucoup dans les laboratoires par exemple. Et on a également les BPI (composantes à Budget Propre Intégré, comme les IUT), c’est-à-dire les composantes qui peuvent avoir des ressources humaines affectées.

Les liens entre les composantes et l’université

Les décisions du conseil d’administration s’imposent aux composantes : les dotations budgétaires, les différents règlements, l’organisation en lien avec les services centraux (les chaînes pour la scolarité, les questions de sécurité, les questions de gestion de ressources humaines, etc.). Ce sont des décisions qui s’imposent aux facultés, aux UFR et autres. À l’intérieur de chaque composante, un conseil en revanche décide d’un certain nombre de choses : l’affectation des ressources propres par exemple, mais c’est relativement limité. Dans le cadre du Conseil des directeurs de composantes, les directeurs se retrouvent deux fois par an avec le président pour discuter essentiellement des grands principes du budget.

Des enseignants et des enseignants-chercheurs des composantes peuvent faire partie du conseil d’administration, de la commission de la recherche et de la commission de la formation et de la vie universitaire. Le lien n’est pas un lien qui est systématiquement hiérarchique entre le président et les directeurs de composantes. À l’intérieur des conseils qui vont décider et imposer leurs décisions au président, se trouvent nécessairement des enseignants et des enseignants-chercheurs en plus des personnalités extérieures. Se joue à l’intérieur de ces conseils un certain nombre de rapports de force entre les composantes et sur les manières d’organiser l’université.

Les enseignants et les enseignants-chercheurs sont également présents dans les conseils de services communs, puisqu’il y a énormément de conseils dans les universités : un conseil des affaires internationales, un conseil de la documentation, un conseil du sport, etc.

Le directeur de la composante va discuter de son budget avec le vice-président en charge du conseil d’adminis­­­tra­tion et le directeur général des services. Cette discussion a lieu tous les ans au moment du budget et le directeur discute des moyens dont il a besoin pour faire fonctionner sa composante : en personnels mais aussi en infor­matique, en bâtiment, en documentation… Il y a donc un dialogue de gestion qui se fait afin de déterminer comment on va donner à la composante les moyens de fonctionner.

Patricia Welinski [designer et enseignante à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon] Au niveau de la composition du conseil d’administration, vous avez parlé de personnalités extérieures. Pouvez-vous en préciser la proportion par rapport aux représentants internes à l’université ?

Jean-Michel Le Pimpec
Cela varie en nombre puisque le conseil d’administration a un nombre minimal et un nombre maximal de membres. Je vais prendre l’exemple de celui que je connais. À l’UBS, il comprend : 6 professeurs d’université, 6 autres enseignants et enseignants-chercheurs (maîtres de conférence), 4 personnels Biatss (en fonction dans l’établissement), 4 représentants des usagers (étudiants), 1 représentant du Conseil régional, 1 représentant de la Ville de Vannes, 1 représentant de la Ville de Lorient, 2 personnes désignées par des organismes socioprofessionnels.

Mathieu Ducoudray [secrétaire général de l’École européenne supérieure d’art de Bretagne] Hervé, as-tu réfléchi à un statut juridique existant qui serait envisageable pour les écoles supérieures d’art mais qui ne serait pas l’EPCC ?

Hervé Alexandre
Aujourd’hui, les écoles d’art sont une vis de format cruciforme et l’EPCC un tournevis basique. Cela fonctionne quand même, on abîme un peu le pas de vis, on arrive à le tourner, mais on n’arrive pas forcément à bien le serrer. C’est l’image qui me vient. La force de l’EPCC, c’est à mon sens la structure publique et l’obligation de dire : on est solidairement engagés et on coopère. Et il n’y a véritablement que cette structure-là qui assure à la fois cette obligation de se poser ainsi, le statut public et le fait d’être dans une forme de pérennité (à l’opposé des groupements d’intérêt public qui sont sur des objets avec du personnel détaché, temporaire). L’EPCC donne aussi une place à l’État. Donc c’est l’outil le moins mauvais. Il est par ailleurs perfectible, parce qu’il a aussi un avantage : la loi sur les EPCC est très succincte et les statuts des établissements aujour­d’hui disent très peu de choses. Et c’est tout l’objet de nos débats de vouloir y ajouter des choses. Je ne vois pas de structure qui offre théoriquement cet espace-là. On le voit bien, la bascule énorme qu’ont effectuée une cinquantaine d’écoles vers un statut d’EPCC (pour en créer trente et un) dans un temps très court et avec de relativement bons résultats, n’aurait pas été possible en ces termes avec un autre statut. Nous n’en serions pas là et n’aurions pas ce débat aujourd’hui.

Mathieu Ducoudray
Jean-Michel Le Pimpec, avec l’expérience que vous avez de l’université, quel regard portez-vous sur la présence forte des enseignants aux différents échelons de la direction de l’université ?

Jean-Michel Le Pimpec
Il est impossible de faire autrement. Il n’est pas possible d’imaginer faire de la formation et de la recherche en ne prenant pas en compte les formateurs, les enseignants et les chercheurs. Une université sert à faire deux choses : à produire de la connaissance et à diffuser des savoirs. Si les enseignants et les enseignants-chercheurs ne sont pas présents dans les instances de direction, cela ne fonctionne pas. Cela a un inconvénient. Je viens des collec­tivités territoriales, j’ai été directeur général adjoint d’un certain nombre de collectivités, et quand on arrive à l’université, on a l’impression qu’ils sont tout le temps en réunion, en discussion et en « comitologie ». L’autre inconvénient est de mettre sans arrêt en cause les décisions des autres puisque par définition, un enseignant-chercheur est totalement libre, d’ailleurs c’est dans la constitution, et donc cela produit une espèce de discussion permanente, ce n’est pas un forum permanent mais presque.

Il n’empêche que ce n’est pas possible de faire autrement. Si les enseignants et les enseignants-chercheurs ne sont pas présents dans les instances de direction de l’université, on en fera un objet technocratique qui ne servira à rien.

source : demainlecoledart.fr